PARIS

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Un certain nombre de villes du monde ont donné naissance à des mythes; quelques-uns ont acquis une portée universelle, en se détachant des caractères fondamentaux du pays lui-même pour exalter la Ville en tant qu’individu. Il en est ainsi de Rome et de Paris. On a maintes fois signalé cette sorte de familiarité amoureuse, avec ses éclats de haine ou d’adoration, que Paris a toujours suscitée, dans le monde entier, chez les poètes ou les chansonniers notamment, familiarité manifestée par l’usage de «petits noms»: Paname, Pantruche. C’est là un phénomène probablement unique à ce degré et qui révèle tout d’abord un premier caractère de la ville, celui de métropole internationale, aux «spécialités» contradictoires: capitale du luxe et de la mode, foyer littéraire et artistique, Babylone de luxure et mère patrie des révolutions.

À l’échelon national, Paris exerce son rôle de capitale depuis treize siècles (si l’on fait abstraction de deux siècles carolingiens); c’est un rare privilège, c’est aussi une charge d’où proviennent les difficultés que Paris éprouve à s’adapter au monde moderne et à la poussée désordonnée de la civilisation urbaine.

On a souvent énuméré ses attributs de capitale nationale. Ils découlent des fonctions qui ont fait sa fortune et qui sont issues d’une position géographique et d’un site privilégiés. Le passage de la grande Seine alluviale du début du Quaternaire à travers les gués et les îlots, dans l’axe même des cols de la France du Nord vers celle du Midi, l’axe routier romain emprunté ensuite par le christianisme localisent peu à peu et animent les trois secteurs topographiques séparés par la rivière: l’île de la Cité, siège de l’autorité politique et religieuse; la rive gauche, centre intellectuel; la rive droite, vouée à l’activité économique. Telle est l’origine de ces fonctions: capitale politique et quasi religieuse, capitale intellectuelle et artistique, capitale économique. Paris est connu pour être en France le premier centre industriel, la première place de commerce, la première place bancaire et le premier centre de gestion des affaires, le cœur du réseau routier et ferroviaire, le premier port fluvial, la plaque tournante du réseau aérien; autant de qualifications qui pèsent lourdement sur l’activité des départements français en établissant l’autorité, si souvent dénoncée, du «Parisien».

Le site seul n’a pourtant pas créé la ville. C’est le choix des césars romains, Julien l’Apostat et Valentinien, puis celui de Clovis, enfin celui de Hugues Capet, qui a ainsi imposé à la France l’ancienne bourgade gauloise, choix heureux sur bien des points (relief, fleuve, approvisionnement) sauf sur un seul: l’ouverture vers la trop proche frontière de l’est, chemin millénaire des invasions. La ville est ainsi «fille de la Seine et du roi»; dans son intimité avec le souverain, trop étroite pour qu’elle ne soit pas à la fois choyée et malmenée, elle cherchera son indépendance en constituant une force politique et intellectuelle qui brisera à maintes reprises ses liens de filiation avec la monarchie et avec l’État: 1358, 1382, 1588, 1648, 1789, 1830, 1848, 1870, en prenant finalement l’habitude d’écrire elle-même l’histoire de France.

Sur le plan topographique, la croissance urbaine s’est faite avec une certaine régularité, à partir de l’île mère. En commençant par les environs immédiats des grands axes (rues Saint-Denis et Saint-Martin, Saint-Jacques, Saint-Honoré et Saint-Antoine), la ville s’est étendue peu à peu, comblant les vides et englobant les anciens «bourgs» fixés généralement autour des abbayes. Cette croissance radiante est matérialisée par les anneaux concentriques des enceintes successives. Favorisée par sa forme en croissant et ses ports naturels, la rive droite l’emporte cependant en extension dès le Moyen Âge; elle connaîtra, du milieu du XIVe au milieu du XVIe siècle, deux cents ans de développement vers l’est, suivis d’une extension rapide vers l’ouest, dont les effets sont toujours perceptibles, tels l’essor du secteur de bureaux de «la Défense» à Puteaux et la difficulté corollaire d’implanter administrations et sièges sociaux à l’est.

Cette compétition de l’orient et de l’occident parisiens se situe encore partiellement à l’intérieur du Paris des vingt arrondissements (limites administratives fixées par la loi de 1859) dont la population tend à diminuer, mais elle affecte surtout la très vaste agglomération parisienne, qui groupe 280 communes et plus de 8 millions d’habitants. Elle est une des toutes premières agglomérations du monde, d’une importance disproportionnée par rapport à la surface et à la population de la France, puisqu’un Français sur six se trouve ainsi catalogué comme «Parisien». Dans ces conditions, les problèmes de l’urbanisation se posent d’une façon aiguë: immigration, construction de logements et d’équipements sociaux, trajets de la population entre les «cités dortoirs» et le lieu de travail, équilibre humain entre bureaux et logements, quartiers populaires et résidentiels, habitat ancien et moderne, régulation d’une circulation automobile et d’un stationnement sans cesse plus pléthoriques, approvisionnement en eau et vivres, espaces verts, sauvegarde du patrimoine architectural et de son environnement, statut politique et rapports avec l’État. Une opération chirurgicale comme le transfert et le remplacement des Halles centrales, que l’on a mis si longtemps à reconnaître comme indispensable après l’erreur de Napoléon III et d’Haussmann, a révélé l’étroite imbrication de tous ces problèmes, aucun d’entre eux ne pouvant être résolu d’une façon indépendante. Cette complexité est inhérente à l’essence même de la ville.

1. Naissance d’une capitale

Le site de Paris, hémicycle de plaine alluviale formé dès le Pléistocène, a été définitivement modelé, depuis le Paléolithique jusqu’au Néolithique inclus, par le déplacement du cours de la Seine, du pied des collines du nord et de l’ouest à son emplacement actuel. L’île principale, formant un réduit défensif naturel, était en même temps un point de passage favorable du fleuve séparant les deux moitiés de la Gaule: au promontoire de la montagne Sainte-Geneviève, au sud, correspondaient, sur la rive gauche, des buttes insubmersibles qui conduisaient, au nord, au «col» de la Chapelle. La Seine et ses affluents constituaient des voies de communication incomparables. Enfin, le sol fournissait en abondance les matériaux de construction.

De la préhistoire à la conquête romaine

Ces conditions favorables ont été anciennement mises à profit par l’homme. L’habitat est attesté dès le Paléolithique inférieur et moyen, puis, après une interruption, au Néolithique où le site apparaît comme un lieu d’échanges. À la fin de cette époque s’implante la culture chalcolithique de Seine-Oise-Marne, caractérisée par les allées couvertes d’Argenteuil, de Meudon, de Conflans-Sainte-Honorine. L’âge du bronze a livré, outre des cachettes de fondeur (dont celle de Thiais, très remarquable), quantité de pièces trouvées dans des dragages, qui témoignent d’«une fréquentation durable et probablement ininterrompue» (P.-M. Duval) du site parisien, souvent dans des lieux habités dès le Néolithique, et des influences étrangères souvent lointaines. On possède peu de documents du premier âge du fer, sans doute en raison d’une modification du climat. Le deuxième âge du fer marque une rupture qui doit être attribuée à l’irruption de masses celtes venues d’outre-Rhin.Les Parisii (le nom se retrouve en Grande-Bretagne chez un autre peuple qui a sans doute une origine commune) semblent s’être fixés au milieu du IIIe siècle avant J.-C. Leur nom est d’origine celte, alors que celui de Lutèce (Lucoticia) peut avoir préexisté à leur venue. La prospérité des Parisii et leur autonomie à l’égard de leurs puissants voisins, les Sénons, avec lesquels ils furent un instant unis à la fin du IIe siècle ou au début du Ier siècle, sont attestées par un monnayage d’or d’une qualité et d’une originalité exceptionnelles.

Ils ne jouent de rôle dans la guerre des Gaules qu’à partir de 53 avant J.-C., année où César tint une assemblée à Lutèce. En 52, ils se soulèvent à l’appel de Vercingétorix, brûlent leur ville et leurs ponts à l’approche de Labienus qui écrase leur chef Camulogène – ce qui atteste l’importance stratégique du site.

Le Haut-Empire

Les conquérants donneront à l’extension de la ville une orientation qui la marquera pendant près d’un millénaire. Pour des raisons de commodité (la rive droite est, en partie, inondable, en particulier là où coulait l’ancien bras du fleuve) et conformément à leurs habitudes, ils bâtissent une ville à la romaine sur la rive sud (gauche) et l’étendent progressivement vers le fleuve en descendant la colline.

Un vaste forum s’élève sur la hauteur (comprenant un temple, une place et une basilique), reconstruit au début du IIe siècle sur un forum plus ancien. Près de lui, au sud-ouest, de petits thermes (Ier s. et déb. du IIe s.) et, à l’ouest, à l’emplacement du Luxembourg, le «beau quartier» de Lutèce. Beaucoup plus bas sont édifiés les grands thermes du nord (ceux de Cluny, datant de la fin du IIe siècle ou du début du IIIe siècle de notre ère, subsistent encore en partie), ceux de l’est (un peu antérieurs) et, à l’ouest, le petit théâtre (IIIe s.?). Cet alignement est-ouest marque l’extension maximale de la ville gallo-romaine vers le fleuve. Un aqueduc long de 15 kilomètres (dit d’Arcueil) alimentait ces édifices d’une eau venue du sud. L’amphithéâtre (arènes de Lutèce, Ier s.) y était tout à fait excentrique. L’existence d’un cirque (emplacement de l’ancienne Halle aux vins) reste tout à fait hypothétique. Le cimetière (vers le Val-de-Grâce) marquait la limite méridionale de la ville; il était placé en bordure du grand axe de la ville, le cardo , venant de la direction d’Orléans et suivant le trajet de la rue Saint-Jacques, traversant l’île et conduisant vers le nord (actuelle rue Saint-Martin) à travers la plaine de la rive droite jusqu’au col de la Chapelle. Des decumani lui étaient perpendiculaires sur la rive gauche. Sur la rive droite, une voie s’en allait vers Melun, à l’est. L’existence à l’époque gallo-romaine d’une voie parallèle, à l’ouest, au cardo (rue Saint-Denis) n’est pas assurée.

De l’état de l’île, on ne sait rien d’absolument certain. On peut conjecturer vraisemblablement que le siège de l’administration devait se trouver dans la Cité, là où fut le premier palais royal. L’existence d’un lieu de culte dans l’île est aussi vraisemblable, mais aucune découverte ne l’a confirmée. La rive droite, marécageuse, ne paraît pas avoir été habitée, quoique le port ait dû se trouver vers l’ancienne place de Grève (actuelle place de l’Hôtel-de-Ville) ou à l’École (extrémité nord du Pont-Neuf). Tout au loin, hors de la ville, sur le mons Mercurii (Montmartre), s’élevaient un sanctuaire et des édifices, près d’une petite nécropole.

Bien reliée par un réseau de routes conduisant au nord à Senlis, puis à Soissons et à Reims, à l’ouest à Rouen par Pontoise, à Dreux et à Chartres, au sud à Orléans, au sud-est à Melun et à Sens, Lutèce reste toutefois une ville secondaire dont la population ne semble pas avoir dépassé 8 000 habitants et qui tirait sa prospérité du trafic fluvial, celui des nautes du Parisis (nautae parisiaci ). Le Pilier des nautes (musée de Cluny) atteste, par les reliefs qu’il porte, la fusion des panthéons romain et gaulois et la persistance des traditions celtiques à Lutèce.

Le Bas-Empire

Dès le milieu du IIIe siècle, la moitié nord de la Gaule est ravagée par la migration des Barbares (253-258) qui dévaste finalement tout le pays en 275-276. Lutèce, ville ouverte, déjà sans doute victime des troubles de la fin du IIe siècle, subit alors d’immenses dommages attestés par l’existence d’une couche d’incendie en presque tous les édifices de la rive gauche.

De nombreux dépôts monétaires permettent de fixer cette catastrophe à la dernière vague d’invasion. Des blocs sont alors arrachés aux grands édifices ruinés, aux monuments funéraires, pour construire, comme dans les autres villes de la Gaule, une enceinte, qui enserre la Cité et double la défense naturelle du fleuve. Toute l’île est rebâtie sur les débris des édifices précédents et forme une ville close abritant en permanence les édifices publics et accueillant la population à l’heure du danger.

Si un repli très considérable a dû affecter Lutèce après ces désastres, il paraît toutefois impossible que toute la ville ait pu longtemps être contenue dans ce minuscule territoire de neuf hectares. Elle a dû à nouveau, progressivement, s’étendre sur son ancien territoire, dont une pièce essentielle mais éloignée du fleuve, le forum, a été fortifiée.

Les bâtiments en partie ruinés ont dû être partiellement réparés, et l’on a des traces, sur la rive gauche, de constructions nouvelles. Enfin, un texte du IVe siècle signale l’existence de faubourgs.

Sur la rive droite, on voit même, au Bas-Empire, sur l’éminence insubmersible de Saint-Gervais, apparaître un habitat nouveau. Cette reconquête de l’aire occupée par la ville de haute époque, l’amorce d’extension vers la rive nord, qui sera par excellence la ville médiévale, s’expliquent par le rôle stratégique considérable que jouera Paris (le nom de Parisius est attesté dès 305-310) au IVe siècle, comme le montrent les séjours qu’y firent deux empereurs, Julien (en 357-358 et en 359-360) puis Valentinien (en 365 et 366). Ils y trouvaient des installations permanentes qui, certes, n’auraient pu tenir dans l’enceinte et qui faisaient de Paris une véritable ville militaire où devaient affluer les membres de l’entourage impérial.

À la même époque (360) se réunit à Paris un concile. Le christianisme, que révèle le martyre de saint Denis au milieu du IIIe siècle, s’était sans doute développé à l’origine dans la ville même plutôt qu’au faubourg Saint-Marcel, où l’on a retrouvé un important cimetière chrétien.

Après cette renaissance de Paris au IVe siècle dut survenir une grande régression au Ve siècle, période obscure où le rôle joué par la ville nous échappe presque complètement. Partie du territoire que gouvernait Egidius depuis Soissons, Paris semble être tombé, à la fin du Ve siècle, au pouvoir de Clovis.

La capitale mérovingienne

L’essor de la monarchie mérovingienne fit jouer à Paris, pendant nombre de décennies du VIe et du VIIe siècle, un rôle de capitale. La ville recouvra alors une part notable de l’extension qu’elle avait avant les désastres de la fin du IIIe siècle. Dès 508, Clovis, ayant accru notablement ses territoires vers le sud, fixe à Paris «le siège de son royaume». Son fils Childebert Ier est «roi de Paris» pendant près d’un demi-siècle (511-558). Caribert n’y règne que sept ans (561-567) mais, à sa mort, ses frères jugent que la ville est de tant d’importance qu’ils la laissent hors du partage et s’interdisent mutuellement, par un pacte solennel, d’y pénétrer. Chilpéric s’en empare dès 575 et s’y maintient jusqu’à sa mort (584). Gontran lui succède et juge bon d’affirmer spécialement ses droits sur le Paris où, plus tard, Dagobert Ier s’installe, au lendemain de la mort de Clotaire II (629). La faveur de ces souverains se marque par des fondations importantes. Clovis élève la basilique des Saints-Apôtres et y fixe sa sépulture. Près de lui seront inhumés Clotilde, auprès de sainte Geneviève (l’église en prendra le nom), et d’autres membres de la famille royale. Childebert Ier fait bâtir Sainte-Croix-Saint-Vincent (Saint-Germain-des-Prés) pour y reposer. D’autres princes l’y rejoignent, en particulier Chilpéric et Clotaire II. C’est presque certainement à Childebert Ier que l’on doit la construction de la cathédrale Saint-Étienne, la plus grande église de la Gaule mérovingienne avec ses 36 mètres de façade et ses cinq nefs. Chilpéric, lui, fait réparer les arènes gallo-romaines. Signe de la sécurité qui régnait alors, Saint-Étienne est élevée en partie sur le rempart, rasé pour lui faire place. Dans l’île de la Cité, les principaux édifices attestés avec certitude sont, à côté de Saint-Étienne, le baptistère (Saint-Jean-le-Rond) et l’édifice dédié à la Vierge, Notre-Dame. Le palais royal est à la place du palais gallo-romain, la prison près de la porte du Sud. De celle-ci à la porte du Nord, le tronçon de la voie romaine est bordé de boutiques de marchands.

L’existence d’une ville étendue est corroborée par celle de fondations religieuses extra-muros. À la fin du VIe siècle, on en compte au moins six, et, à la fin de l’époque mérovingienne, quinze. À ce moment, leur répartition – onze au sud, quatre seulement au nord – marque bien que le territoire de l’ancienne ville gallo-romaine a été largement réutilisé et aussi que se poursuit lentement le mouvement d’extension vers la rive droite, amorcé au Bas-Empire. Ces monuments ne sont pas les seuls témoignages de la vitalité de l’art mérovingien à Paris: l’orfèvrerie y connaît un remarquable essor. Autour de la ville – comme d’ailleurs dans les autres villes du royaume, car la monarchie est itinérante – sont répandues des villas où séjournent souvent les rois. Paris est donc une résidence privilégiée, non une capitale au sens moderne du mot.

L’époque carolingienne

Alors que l’extension du royaume de Clovis vers le sud avait fait tenir à Paris un rang éminent au VIe siècle, et sans doute encore au VIIe siècle, le partage de fait de l’État mérovingien en trois royaumes, puis l’accession et le triomphe de la dynastie carolingienne, tournée vers l’est, enfin l’immense extension de l’Empire dans cette direction font que la ville tombe dans une position excentrique et s’efface, tout en semblant être restée prospère jusqu’au début du IXe siècle. C’est alors que les invasions normandes la ravagent, car le vieux rempart de la fin du IIIe siècle, sans doute mal entretenu, peut d’autant moins la défendre efficacement qu’elle est délaissée par le pouvoir impérial.

À partir de 845, en une série de raids, les pirates occupent, pillent et incendient la ville et les environs. En 885-886 enfin, Paris subit un siège interminable. L’évêque Gozlin a fait relever les remparts et hâter la construction de tours au bout des deux ponts. Avec le comte de Paris, Eudes (grand-oncle d’Hugues Capet), il défend vaillamment la ville, et les Normands finissent par se retirer.

L’empereur Charles le Gros arrive trop tard. Le grand siège de 885-886 marque un tournant décisif dans l’histoire de Paris. Il consacre et l’impuissance de l’empereur et le rôle essentiel de l’évêque et du comte. Enfin et surtout, il provoque la destruction complète des faubourgs.

Les tourmentes des invasions de la fin du IIIe siècle, la période troublée du Ve siècle n’avaient pas aboli la ville artificiellement implantée par les Romains, loin du fleuve, sur la hauteur du sud. À deux reprises, les restes du riche capital monumental de Lutèce avaient pu être réutilisés et la rive gauche reconquise. Mais, après le désastre de la fin du IXe siècle, il n’y a plus de faubourgs. Paris est réduit à la petite île de la Cité. Il reprend alors son assiette naturelle, près du fleuve. Aux périodes suivantes, il se développera avant tout au nord, sur la rive droite, qui restera longtemps la Ville par excellence.

2. Paris jusqu’en 1870

La ville médiévale

La cité des premiers Capétiens

À la fin du IXe siècle, tandis que l’île de la Cité constitue encore un réduit fortifié, asile des populations suburbaines, la rive gauche, héritière de la ville gallo-romaine, a subi des dévastations dont elle ne se relèvera pas de sitôt et qui pèseront sur son développement pendant des siècles; ses églises dresseront longtemps leurs ruines au milieu des cultures. La rive droite, bien que très touchée aussi, va renaître au contraire de ses cendres parce qu’elle est favorisée par le site fluvial. Ses ports naturels implantés sur la berge basse de la Seine la prédisposent en effet à une intense activité marchande. Une fois brisé l’attrait de la ville gallo-romaine, les premières agglomérations de la rive nord fixées autour de lieux de culte mérovingiens ou carolingiens recueillent la majeure partie du trafic en conjuguant le commerce des «marchands de l’eau» avec l’activité d’un marché situé entre Saint-Laurent et Saint-Martin-des-Champs, en liaison avec les routes du nord et la foire du Lendit à Saint-Denis.

Au XIe siècle, le peuplement de cette rive est assez important pour justifier la construction d’une première enceinte, dont l’existence est attestée par la toponymie. Elle enfermait quelques buttes hors d’atteinte des crues de la Seine, le monceau Saint-Gervais, les paroisses Saint-Merri (ou Saint-Merry) et Saint-Jacques-la-Boucherie; la paroisse voisine, Saint-Germain-l’Auxerrois, avait sans doute son enceinte particulière. Située dans ce périmètre, l’anse de la Grève, le meilleur port naturel sur le fleuve, où Louis VII s’engage vis-à-vis des bourgeois à ne rien construire, donne naissance à un nouveau marché, tandis que l’île de la Cité, construite et peuplée d’une façon très dense (quatorze paroisses), reste le lieu royal et épiscopal, ainsi qu’un centre commerçant (parvis Notre-Dame, marché Palu); mais son port, très étroit (port Saint-Landry), ne peut rivaliser avec la Grève.

L’extension sur la rive droite des quartiers de «l’Outre-Grand-Pont» se poursuit au XIIe siècle hors des portes de la première enceinte avec les nouvelles paroisses de Saint-Paul, de Saint-Nicolas-des-Champs et des Saints-Innocents, au voisinage des trois grandes voies: celle de Melun (rue Saint-Antoine), celle de Senlis (rue Saint-Martin) et celle de Rouen (rue Saint-Denis). Vers 1137, Louis VI transfère le grand marché de Paris au lieu dit «les Champeaux», région privilégiée parce que située au carrefour des arrivages par le fleuve, de la jonction avec la Cité par le Grand-Pont et le Châtelet et des arrivages par la route (drap du nord par la rue Saint-Denis, blé par la rue de la Ferronnerie, poisson de la Manche et de la mer du Nord par la rue des Poissonniers). L’anneau de marais, laissé par l’ancien lit de la Seine, est drainé et mis en culture (marais Sainte-Opportune à l’est, couture l’Évêque à l’ouest); on y produit d’abord des légumes, puis des céréales. Des ponts franchissent l’égout de drainage pour assurer une meilleure liaison avec les villages voisins, dont les cultures approvisionnent la ville.

L’œuvre de Philippe Auguste

La densité de construction hors de la première enceinte nécessite bientôt l’édification d’une seconde enceinte, pour mettre la ville à l’abri des armées du roi d’Angleterre. Philippe Auguste charge les bourgeois d’élever un épais rempart de pierre flanqué de tours rondes. Sur la rive droite, il enferme les nouveaux centres de peuplement, notamment le marché des Champeaux, et fait construire, près de la Seine, une puissante forteresse tournée vers la Normandie, le Louvre.

La rive gauche connaît un sort bien différent. Un bourg commerçant s’est formé à la tête du Petit-Pont, à la naissance de la rue Saint-Jacques, mais l’animation ne viendra vraiment que de l’Université. Les écoles épiscopales, logées dans la Cité, au cloître Notre-Dame, sont encore florissantes au XIIe siècle, mais d’autres écoles, désireuses d’échapper à la tutelle de l’évêque, se fondent bientôt de l’autre côté du fleuve, au milieu des clos de vignes qui escaladent la montagne Sainte-Geneviève et près des écoles réputées de l’abbaye de Saint-Victor. Groupement de maîtres et d’écoliers, l’Universitas est soutenue par le pape, qui la reconnaît en 1209-1210; symbole d’indépendance, elle reçoit en 1252 le droit de sceller de son propre sceau. La subsistance des écoliers est assurée par des fondations privées, les collèges, qui se mêlent, dans le «quartier latin», aux couvents de plus en plus nombreux, en particulier ceux des récents grands ordres enseignants, Jacobins (Dominicains) et Cordeliers (Franciscains). Le renom de l’Université de Paris, notamment en matière de théologie, attire les étudiants de toute la Chrétienté. Aussi cette nouvelle cité de la pensée est-elle enclose dans l’enceinte de Philippe Auguste, avec de vastes espaces non construits qui permettront un développement ultérieur.

Au-delà de la muraille, les grandes abbayes aux noms souvent ruraux – Saint-Martin-des-Champs et le Temple au nord, Saint-Victor et Saint-Germain-des-Prés au sud, sans oublier la vieille agglomération chrétienne de Saint-Marcel sur les bords de la Bièvre – continuent de fixer la population dans des bourgs satellites ou des enclos fortifiés. Philippe Auguste, qui séjourne fréquemment à Paris, fait paver les voies de la croisée de la ville et capter les eaux de ruissellement du Pré-Saint-Gervais et de Belleville pour alimenter des fontaines publiques.

Le Paris de Saint Louis

Au XIIIe siècle, la ville en pleine prospérité achève de s’étendre dans l’enceinte, au moins sur la rive droite; les maisons se pressent aussi hors des portes le long des voies qui mènent aux bourgs extérieurs. Elles sont construites en pan de bois, comme on peut le voir sur les miniatures, avec un encorbellement sur un rez-de-chaussée de pierre voué au commerce, le sommet coiffé souvent d’un haut pignon. Mais dès cette époque apparaît la maison seigneuriale: évêques, abbés, barons tiennent à posséder une résidence parisienne et s’installent, au large, sur les espaces encore libres qui bordent intérieurement le rempart. Le roi lui-même a donné l’exemple: à l’emplacement du palais gallo-romain occupé ensuite par celui des Mérovingiens, les Capétiens ont entrepris à la pointe occidentale de la Cité la reconstruction d’une grande demeure en pierre. Robert le Pieux et Louis VI sont, dans cette entreprise, suivis par Saint Louis qui fait du palais son séjour le plus fréquent et qui fait bâtir la Sainte-Chapelle, ainsi que des galeries et une grande salle disparues. Philippe le Bel poursuit son œuvre et édifie un ensemble dont le rez-de-chaussée, conservé jusqu’à nos jours, est l’une des plus vastes salles voûtées de la Chrétienté.

L’épanouissement de l’architecture gothique se marque dans les églises et dans les établissements monastiques. En 1163, l’évêque Maurice de Sully a posé la première pierre de sa nouvelle cathédrale. Le gros œuvre sera achevé en 1250 avec les façades du transept; la perfection de la construction témoigne d’une particulière sollicitude royale. À la même époque, des bâtiments s’élèvent à Saint-Germain-des-Prés, à Saint-Victor, à Saint-Martin-des-Champs. Des bâtiments clos, les «halles», abritent désormais les échanges commerciaux au marché des Champeaux.

La première révolution parisienne et la guerre de Cent Ans

L’essor de la ville se poursuit au début du XIVe siècle. La rive droite connaît une telle activité que, vers 1350, quatre cinquièmes des contribuables parisiens y étaient domiciliés. Aussi le prévôt des marchands prit-il en 1356 l’initiative d’une nouvelle enceinte, qui sera poursuivie par Charles V après la chute d’Étienne Marcel, mais qui n’enfermera que la rive droite (la ligne des «Grands Boulevards») dans un rempart flanqué de tours carrées.

La révolution de 1358 est la première rupture grave entre le roi et la population parisienne. La conséquence topographique de ce conflit est que, pendant trois siècles, la ville va s’étendre vers l’est. Fuyant le palais de la Cité ensanglanté par l’émeute, le dauphin, devenu Charles V, fixe sa résidence à l’est (sur le chemin de Vincennes), au bourg Saint-Paul, dans un vaste ensemble de galeries et de jardins conçu pour les fêtes d’une cour brillante et lettrée. Ce choix de l’hôtel Saint-Paul, puis de l’hôtel des Tournelles qui lui succédera aux XVe et XVIe siècles comme résidence des Valois, ainsi que la proximité des logis des conseillers et des familiers du roi donnent soudain une teinte aristocratique à tout l’Est parisien. De cette architecture civile encore féodale, il reste aujourd’hui la porte à tourelles du connétable de Clisson; quant à la construction des édifices religieux, elle se poursuit durant tout le siècle. Si la vie de cour continue à donner une certaine animation commerciale à la ville, il n’est pas moins vrai que les malheurs de la guerre de Cent Ans, l’occupation anglaise (1411-1436), la crise économique et le siège (1429) ont profondément et pour longtemps ruiné Paris, déjà décimé par la peste noire vers 1350, puis devenu le refuge des populations affamées du plat pays. Le marasme durera bien au-delà du retour triomphal de Charles VII (1436), qui, sitôt entré, s’empressera de sortir de la ville pour résider sur les bords de la Loire, auxquels resteront fidèles Louis XI, Charles VIII et Louis XII.

Le roi et la ville

Dès l’origine, la situation politique de Paris s’est affirmée. Si son rôle de capitale du royaume se précise peu à peu à mesure que s’affermit la puissance capétienne, si Philippe Auguste, Saint Louis et Philippe le Bel y fixent les organes du pouvoir central (Parlement, Chambre des comptes, Trésor, Archives, Monnaie, reliques), la ville ne parvient pas à conquérir son indépendance. Protégés par le roi contre les seigneurs des environs, les bourgeois n’ont pas obtenu de charte de commune, mais des privilèges de «bourgeois du roi». De ce fait, certaines corporations acquièrent un rôle politique, la hanse des marchands de l’eau d’abord, les bouchers, merciers, drapiers par la suite. La hanse, forte de l’appui royal face à la concurrence des marchands rouennais, se fait attribuer certaines prérogatives: tribunal commercial (début XIIe s.), levée d’impôts (1190), siège social au «parloir des bourgeois». En 1258, Saint Louis ôte la prévôté royale de Paris aux bourgeois qui en avaient la ferme pour la confier à l’un de ses fonctionnaires, Étienne Boileau; en 1263, la hanse élit une première municipalité avec un prévôt des marchands, Évrard de Valenciennes, assisté de quatre échevins. Un conseil de prud’hommes est créé en 1296. Ainsi se trouve réalisée pour la première fois cette dualité entre le représentant du pouvoir central et la municipalité, caractéristique du système parisien jusqu’à nos jours. Lorsque cette dernière atteignit au sommet de sa puissance avec Étienne Marcel et ses successeurs, le roi jugea bon de supprimer pour un temps la prévôté des marchands (1383). Mais les deux autorités sont également impuissantes devant l’émiettement féodal du sol parisien, morcelé entre près de cinq cents seigneurs, laïcs et surtout ecclésiastiques (évêque, chapitre cathédral, collégiales, abbayes et prieurés), conservant des droits de justice, de police, de voirie.

L’époque classique

Une cité médiévale sous la Renaissance

Ce n’est qu’avec lenteur que la ville parvint à sortir du marasme de la guerre de Cent Ans. L’expansion économique reprit vers 1450, l’immigration provinciale vers 1500. Dans sa physionomie, Paris ne fut guère influencé par les nouvelles formes de la Renaissance italienne, dont le développement en France est lié aux résidences du roi et de la cour. Aussi le style gothique flamboyant reste-t-il longtemps le style parisien, tant pour l’architecture religieuse (église Saint-Séverin, église Saint-Étienne-du-Mont) que pour l’architecture civile (hôtel de Sens, hôtel de Cluny).

L’autorité du roi ne s’est manifestée jusqu’ici que pour la construction d’enceintes, le pavage des rues, l’érection de demeures royales. Peu à peu, la monarchie va s’intéresser à l’aspect de la ville, s’inquiéter de son expansion désordonnée, édicter une réglementation d’urbanisme. La première manifestation spectaculaire en est l’ordonnance architecturale imposée en 1500 au nouveau pont Notre-Dame, bordé de maisons uniformes de brique et de pierre de style Louis XII, contemporaines du palais de la Chambre des comptes et de l’escalier extérieur de la Sainte-Chapelle. Cette orientation sera poursuivie sous les Valois. François Ier, qui fixe sa résidence officielle à Paris en 1528, décide de modifier, puis de reconstruire le Louvre pour l’habiter, opération réalisée par Pierre Lescot à partir de 1546. Le roi fait bâtir le premier quai en pierre, entre le Louvre et le Châtelet, ordonne de démolir les portes de l’enceinte, fait aligner les rues importantes et exprime à la municipalité sa volonté de voir construire un hôtel de ville digne de sa capitale, lequel sera bâti sur un schéma italien et flamand tout à la fois. Il se préoccupe aussi de ne pas laisser vacant et ruiné le vaste patrimoine royal accumulé par ses prédécesseurs; des lotissements partiels, exécutés sans grande vue d’ensemble, remplacent alors les hôtels Saint-Paul, de Flandre, de Bourgogne, d’Étampes, etc.; le quartier des Halles est reconstruit. Certains couvents suivent cet exemple, ainsi le prieuré Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers qui lotit ses cultures (autour de la rue de Sévigné). On pense que ces chantiers ouverts à l’intérieur de l’enceinte dissuaderont les constructions hors de celle-ci, qui sont interdites depuis 1548. Devant les menaces de guerre, Henri II décide de rebâtir les remparts: le remplacement de l’enceinte de Charles V par une fortification basse défendue par des bastions, commencée près de l’Arsenal, sera poursuivi, mais trop lentement pour assurer la sécurité de la ville dans les heures graves qui vont suivre. C’est sous son règne, enfin, que le style de la Renaissance commence à marquer le visage de Paris: les arcs de triomphe élevés provisoirement à l’occasion des entrées triomphales à la romaine influencent des monuments durables, comme la fontaine des Innocents de Jean Goujon ou le décor de l’immense église Saint-Eustache, dont la structure est pourtant conçue selon un schéma tout gothique.

Les dissensions religieuses se font cependant plus dramatiques. Contre les princes ou les intellectuels – clercs ou riches marchands – qui ont adopté la Réforme ou pratiquent seulement la tolérance, l’opinion parisienne excitée par la Faculté de théologie se durcit. Catherine de Médicis, qui a abandonné en 1559 le palais des Tournelles pour ses nouvelles résidences de l’ouest – l’hôtel de la Reine (à l’emplacement de la Bourse du commerce) ou le château des Tuileries commencé en 1564 par Philibert de l’Orme –, cherche à temporiser, puis finalement s’appuie sur l’opinion pour extirper brutalement l’hérésie par le massacre de la Saint-Barthélemy (1572). La ville se rebelle ensuite contre Henri III, dresse des barricades en 1588 et devient la capitale ligueuse de la famille de Guise. Le siège qu’entreprennent les deux Henri, puis Henri IV seul, ruine entièrement les faubourgs, amène le dépérissement du patrimoine immobilier et réduit la population affamée à la misère.

Henri IV, premier urbaniste de Paris

Cette ville dévastée où Henri IV fait son entrée en 1594 va connaître dans les quarante années qui suivent un essor extraordinaire et doubler sa population. «Sitôt qu’il fut maître de Paris, on ne vit que maçons en besogne.» Décidé à y résider et à s’en occuper personnellement, comme le feront Napoléon Ier et Napoléon III, Henri IV ouvre aussitôt des chantiers pour réduire le chômage, embellir la ville et servir sa gloire. Une fois repris les travaux du Louvre, des Tuileries et des galeries qui doivent les réunir, il entreprend de terminer le nouveau pont, le «pont Neuf», imaginé par Henri III pour joindre le bourg Saint-Germain à la rive droite. Dans son prolongement, il fait ouvrir des rues rive gauche; il fait aménager, à la pointe de la Cité, une place triangulaire, la place Dauphine, devant laquelle sa veuve fera édifier sa statue équestre. Sur les terrains vacants des Tournelles, il fait dessiner la place Royale (aujourd’hui place des Vosges), résidence, promenoir et terrain de joute où il cherche, sans succès durable, à implanter une manufacture de drap d’or. Rapidement bâtie, la place donne un élan à ce quartier peu dense où la société à la mode va s’établir. Gagné par l’exemple, le grand prieur du Temple décide de lotir ses cultures où le roi fait tracer la «place de France», hémicycle adossé au rempart; mais cette place ne verra pas le jour, du fait de la mort du souverain.

Le mouvement amorcé s’accélère encore sous Louis XIII, mais dès lors l’initiative privée supplante l’action du roi. C’est le début de l’ère des promoteurs, financiers avisés ou imprudents, et bientôt architectes, agissant seuls ou en association, achetant le terrain libre à l’arpent, traçant la voirie et revendant les lots à la toise; ils ont nom Louis Le Barbier, Christophe Marie, Louis Le Vau. Plusieurs quartiers neufs surgissent alors: ainsi celui de l’île Saint-Louis, formé d’anciens terrains de pâture réunis, cernés de quais, percés de rues, peuplés rapidement de maisons et d’hôtels particuliers. C’est le triomphe de la construction en pierre de taille, à la portée des riches financiers bâtisseurs, qui supplante la construction en brique ou moellon, encore courante chez les grands seigneurs du règne précédent. Rive gauche, l’immense domaine de la reine Marguerite et les prairies du Pré-aux-Clercs donnent naissance à un vaste quartier résidentiel qui forme la frange nord du nouveau faubourg Saint-Germain. En face, rive droite, le rempart de Charles V qui empêchait Richelieu d’étendre largement le jardin du Palais-Cardinal est jeté bas entre la porte Montmartre et le Louvre, et la nouvelle enceinte bastionnée des Fossés Jaunes (1633-1636) vient enfermer d’autres quartiers: la Villeneuve, le faubourg Montmartre et le premier faubourg Saint-Honoré qui abrite les demeures des ministres. La ville s’étend dans tous les sens, tandis que les villages de la couronne champêtre, de Chaillot à Charonne, accueillent les résidences secondaires des Parisiens fortunés ou de nouveaux couvents. L’essor religieux est une des caractéristiques de ce temps; soixante couvents sont ouverts entre 1600 et 1639, surtout rive gauche; on crée les premiers séminaires, saint Vincent de Paul organise d’efficaces institutions de charité, on multiplie la construction d’hôpitaux, on se préoccupe d’éducation, sans pourtant parvenir à stopper la misère ou alphabétiser les masses. Paris se couvre d’églises tout au long du siècle (Saint-Sulpice, Val-de-Grâce, Saint-Roch) et accède au rang d’archevêché en 1622.

Paris sous Louis XIV

La Fronde aura deux conséquences importantes: d’une part une terrible crise économique aggrave la misère qui persistera durant tout le règne (les décès l’emportent sur les naissances, l’immigration provinciale et rurale assurant seule l’augmentation de la population) et gonflera encore l’énorme masse des indigents (création de l’Hôpital général en 1656); d’autre part la monarchie, qui garde rancune aux Parisiens des journées révolutionnaires de 1648-1649, quitte la capitale et n’y reviendra jamais volontiers. C’est donc Colbert, le bourgeois enrichi, devenu surintendant des bâtiments en 1664, plutôt que Louis XIV, qui mettra en œuvre à Paris une politique cohérente de grandeur et de commodité. Au moment où Vauban fortifie les places frontières, Paris devient ville ouverte, l’enceinte est détruite à partir de 1670 et remplacée par une large promenade, le «Nouveau Cours», scandé d’arcs de triomphe qui rappellent les victoires du roi; ce cours devait se poursuivre rive gauche, son amorce donnant naissance à la ligne de boulevards qui va du boulevard des Invalides au boulevard de l’Hôpital. Colbert fit beaucoup pour la rive gauche; impuissant à trancher dans le tissu trop dense du centre, il implante à la périphérie l’hôpital de la Salpêtrière, l’Observatoire et l’hôtel des Invalides, qui forment de nouveaux points extérieurs que la construction privée va chercher à atteindre. Sur la rive droite, face au collège Mazarin bâti par Le Vau, les travaux du Louvre donnent lieu à mille controverses, le roi optant finalement pour une «colonnade» française contre les projets de l’Italien Bernin; le jardin des Tuileries est retracé par Le Nôtre. La série des places royales matérialise bien la croissance accélérée vers l’ouest: la place des Victoires, de plan circulaire autour d’une statue pédestre du roi, place fermée du côté de l’est mais ouverte vers l’ouest (1685), puis, autour d’une statue équestre (1686-1699), la place Louis-le-Grand (Vendôme), assortie par Jules Hardouin Mansart d’un vaste programme spéculatif sur les terrains voisins. Reliés par le pont Royal, le faubourg Saint-Honoré et le faubourg Saint-Germain gagnent à l’envi vers l’ouest de chaque côté de la Seine. Colbert, poursuivant l’œuvre de Henri IV, installe des manufactures d’État ou à privilège royal qui emploient plusieurs milliers d’ouvriers.

La ville des Lumières

En 1677, Louis XIV a fixé sa résidence à Versailles dont il fait en 1682 le siège du gouvernement, dédoublant ainsi la capitale. La «Ville» (Paris) s’oppose alors à la «Cour». Paris, resté capitale religieuse, intellectuelle, scientifique et artistique de renom mondial, va accroître encore son prestige au siècle des Lumières, en opposition au hiératisme officiel de Versailles. Le goût de la spéculation intellectuelle, né dans les ruelles des précieuses sous Louis XIII, consacre le triomphe de la bourgeoisie du faubourg Saint-Honoré, maîtresse des idées. Mais le siècle connaît aussi une forte augmentation de la population et un essor économique dont le ralentissement puis l’arrêt catastrophique seront une cause principale du déclenchement de la Révolution.

Sous Louis XV, les réalisations d’urbanisme suivent la voie tracée par la tradition: une nouvelle place royale (place Louis-XV, aujourd’hui place de la Concorde) est, à la suite d’un concours institué en 1749, implantée sur les espaces vides de l’extrémité du jardin des Tuileries, en jonction avec la percée forestière des Champs-Élysées; c’est une vaste esplanade ouverte sur la rivière. Derrière les palais élevés par Gabriel sur son côté nord, le nouveau faubourg Saint-Honoré ainsi que «le Roule» se couvrent d’hôtels. Quelques adductions d’eau (fontaine de Grenelle, pompes à feu de Chaillot et du Gros-Caillou) et la couverture du grand égout sont entreprises.

C’est toutefois dans la seconde moitié du siècle que la ville prend un visage plus moderne. Des rues entières sont bâties d’immeubles locatifs, construits avec rapidité pour suivre la hausse des loyers. Ces quartiers nouveaux sont la Chaussée-d’Antin, Monceau, la couronne des boulevards. Sur la rive gauche, l’École militaire (1752-1757) constitue un autre pôle d’attraction, tandis que l’hôtel de Condé, nouvellement loti, laisse place au théâtre de l’Odéon et aux rues avoisinantes. Le duc d’Orléans construit autour de son jardin du Palais-Royal un ensemble locatif et commerçant de très haut rapport. Les auteurs des projets – qui foisonnent – conçoivent une architecture à tendance colossale inspirée de l’antique, mais les réalisations sont peu nombreuses; l’énorme église Sainte-Geneviève (Panthéon) de G. Soufflot, les barrières d’octroi de C. N. Ledoux qui marquent les portes de la nouvelle enceinte des fermiers généraux élevée pour des impératifs fiscaux. Le cimetière des Innocents est déplacé en 1786, des ponts d’une rare perfection technique traversent la Seine (pont de la Concorde, de Neuilly), un premier plan exact de Paris est dressé par E. Verniquet, les édifices publics, nouveaux ou en reconstruction, se multiplient: Monnaie, Écoles de médecine et de droit, Théâtre-Français, Mont-de-Piété, hôpitaux, palais de Justice, etc.

L’administration de la ville

Face aux initiatives du roi et de ses ministres, le bureau de ville reste un rouage sans grands pouvoirs. Par contre, quelques prévôts des marchands, tel François Miron, esprit réaliste et entreprenant associé à l’œuvre de Henri IV, furent favorisés par la royauté. Certaines tâches de police, dévolues aux lieutenants civil et criminel, paraissent assez importantes pour nécessiter en 1667 la création d’un poste de lieutenant de police au profit de La Reynie, homme intègre et intransigeant. Avec des attributions de voirie, de ravitaillement, de santé publique, ce poste sera un véritable ministère, géré avec compétence par les Argenson ou Sartine.

La capitale au XIXe siècle

Destruction et réorganisation

La Révolution de 1789 ne tarda pas à affecter l’activité de la ville, notamment la construction qui stagnera à partir de l’émigration; elle en perturba peu à peu l’approvisionnement jusqu’aux périodes les plus dramatiques de 1793-1794, marquées par la disette et le rationnement. La vie chère et la dépréciation du papier-monnaie ruinent les Parisiens, sauf ceux qui ont investi leur numéraire dans l’achat de biens nationaux. La vente de ceux-ci a libéré une vaste fraction du sol (un huitième). Peu de demeures d’émigrés seront détruites, mais quantité de couvents et d’églises qui couvraient une vaste surface; leur lotissement permet pour la première fois une libération du sol dans certains quartiers du centre. Mené à la hâte et sans plan d’ensemble, ce lotissement a pour première conséquence de réduire fortement les espaces verts. Pourtant, l’idée de grands percements d’intérêt public est dans les esprits, elle inspire le premier projet collectif, le «plan des artistes».

Reprenant les idées de la Révolution et surtout de l’Ancien Régime, Napoléon s’intéresse d’une façon personnelle et tenace aux problèmes de Paris dont il veut faire la capitale de l’Europe, capitale politique et même religieuse puisqu’il pensa à fixer la résidence du pape dans un palais bâti au flanc de Notre-Dame. Ne laissant aucune initiative à la ville, il dirige, par le préfet de la Seine et le préfet de police, les grands travaux, la voirie, l’équipement. De cette époque, on conserve des ponts (d’Iéna, des Arts), des monuments commémoratifs (arcs de triomphe, Madeleine), des fontaines, la Bourse; mais on bénéficie surtout des mesures d’organisation qui inaugurent vraiment le Paris moderne: réseau de ravitaillement (halles, marchés, abattoirs, greniers de réserve), adduction d’eau (canal de l’Ourcq), quais, égouts, numérotage des maisons. Seule grande percée, répondant à un désir fort ancien d’offrir un axe ouest-est sur la rive droite, la rue de Rivoli, aux maisons dessinées par P. Fontaine, conseiller très écouté de l’empereur, inaugurait une politique mais ne vit le jour que lentement. Restèrent à l’état de projet les dessins d’une ville nouvelle sur la colline de Chaillot et le Champ-de-Mars où devait s’élever un monumental quartier administratif, palais du roi de Rome, de l’Université, des Archives.

Vers un nouvel urbanisme

La population, qui, dès le Consulat, avait récupéré les pertes subies pendant la Révolution, croît dans des proportions importantes, dues essentiellement à une immigration amorcée sous l’Empire. En 1833, on compte 527 000 Parisiens nés hors du département de la Seine. Paris a commencé à s’industrialiser sous Napoléon, principalement avec le traitement du coton et les industries de luxe. Si les premières fabriques périclitent en 1815, ateliers et petites usines prolifèrent ensuite, ce mouvement étant accéléré par l’introduction du chemin de fer (ligne Paris-Saint-Germain en 1837; six lignes en 1842). Dans une ville de plus en plus congestionnée, les différences sociales sont davantage marquées; un prolétariat misérable – les «classes dangereuses» – s’entasse dans les vieux quartiers du centre décrits par Balzac, Hugo et Eugène Sue, quartiers où l’on trouve 1 000 habitants à l’hectare (Grève, Cité, Saint-Merri), ainsi que dans les faubourgs de l’est, ensemble de taudis qui favorisent l’alcoolisme et la prostitution; on compte 31 à 39 p. 100 d’enfants illégitimes. Les conditions hygiéniques sont déplorables et le choléra fait 44 000 victimes en 1832. En 1848, 65 p. 100 des Parisiens ne payent pas d’impôt et 80 p. 100 des morts vont à la fosse commune. Dans l’ouest, la construction privée renaît après le retour des Bourbons. La banque finance largement la création de nouveaux quartiers à la mode et bien tracés: François Ier, Beaujon, la Madeleine, l’Europe, Saint-Georges. La vie de la rue connaît alors l’exubérance du romantisme, c’est l’âge d’or des théâtres et des cafés qui font du «boulevard» une fête perpétuelle où se côtoient toutes les classes de la société, fête que l’introduction de l’éclairage au gaz permettra de poursuivre la nuit.

Si Louis XVIII et Charles X ne se préoccupent guère de changer l’aspect du Paris ancien, Louis-Philippe tente de reprendre la tradition des rois urbanistes et fait achever l’arc de triomphe de l’Étoile, embellir la place de la Concorde, restaurer les joyaux gothiques mis à la mode par Victor Hugo: Notre-Dame puis la Sainte-Chapelle. Une timide percée, la rue Rambuteau – qui porte le nom du préfet de la Seine –, tente, à travers les vieux quartiers, de réunir les Halles au Marais. En 1841, on décide d’entourer la ville d’une nouvelle enceinte bastionnée qui, dépassant largement les frontières et l’agglomération, traverse les communes suburbaines: c’est l’enceinte dite de Thiers, défendue par 94 bastions et 17 forts avancés.

Le Paris d’Haussmann

Lorsque éclate la révolution de 1848, elle stoppe un temps les projets de Rambuteau pour la reconstruction du marché des Halles. Mais la situation dramatique des quartiers centraux, l’agitation ouvrière, le chômage imposent immédiatement au gouvernement provisoire une politique de grands travaux, chantiers assumés et étendus par le prince-président devenu Napoléon III. Ce dernier a des idées précises sur l’urbanisme et il s’entoure de trois hommes d’action: G. Haussmann, E. Belgrand et R. Alphand, qui assureront l’activité du bâtiment, la mise en place d’un service de distribution de l’eau et l’aménagement des espaces verts. La richesse de la classe dirigeante et l’élan économique et industriel de la France (production de fonte, construction de voies ferrées) permettront une réalisation prodigieusement rapide de ces projets, souvent repris dans l’arsenal des idées du XVIIIe siècle et de la monarchie de Juillet. La première opération consiste à éventrer le centre; sans épargner les monuments anciens, Haussmann trace inexorablement de grandes percées rectilignes bordées de hauts immeubles de pierre de taille où logera la classe aisée. Ces percées visent d’abord à constituer la nouvelle croisée de Paris, un axe ouest-est prolongeant la rue de Rivoli jusqu’à la rue Saint-Antoine, et un axe nord-sud, le boulevard de Sébastopol, débouchant sur la place du Châtelet entre deux théâtres, se poursuivant dans la Cité (boulevard du Palais) et sur la rive gauche (boulevard Saint-Michel). Rive droite, on réussit – malheureusement sur le même emplacement, ce qui hypothéquera l’avenir d’un quartier central jusqu’à nos jours – la reconstruction totale des Halles centrales, avec de vastes pavillons de fer et de fonte imaginés par Victor Baltard. Le secteur est réuni aux quartiers avoisinants par d’autres percées; en particulier la rue de Turbigo, complétant le très vieux carrefour de la pointe Saint-Eustache, mène à la place du Château-d’Eau (actuelle place de la République) où deux casernes permettront, le cas échéant, de contenir les masses ouvrières du faubourg Saint-Antoine. L’île de la Cité est presque entièrement rasée; on y dresse l’immense caserne de la garde municipale (actuelle Préfecture de police) et le nouvel Hôtel-Dieu au bord d’un parvis Notre-Dame devenu démesuré. Rive gauche enfin, la voie transversale qui manquait dans les quartiers proches de la Seine est dessinée: c’est le boulevard Saint-Germain.

Le second souci d’Haussmann fut d’aménager le système des «embarcadères» parisiens du chemin de fer et de relier les nouvelles gares aux grands axes de circulation. Tous les travaux, ainsi que l’aménagement des rues revêtues d’asphalte et bordées de trottoirs, sont financés par la Ville grâce à des subventions d’État, à des emprunts et à la vente des matériaux et des terrains non utilisés. La nouvelle procédure d’expropriation a seule permis des transformations d’une telle ampleur.

Parallèlement, le problème angoissant de l’eau, toujours insuffisante pour les Parisiens, est résolu avec la captation de la Dhuis et de la Vanne par l’ingénieur Belgrand et le recours au puits artésien de Passy. Un exemplaire réseau d’égouts, qui passe de 150 à 500 kilomètres, utilise le mouvement de la Bièvre et transporte les eaux usées dans la Seine, à Asnières. Enfin, les espaces verts atteignent 1 800 hectares, grâce aux deux vastes parcs créés par Alphand à l’est et à l’ouest – bois de Vincennes et bois de Boulogne –, aux jardins et squares disséminés dans Paris. Notons aussi la réorganisation des cimetières, la fusion des compagnies de gaz et d’omnibus.

La ville connaît alors son dernier agrandissement; en 1860, les communes ou parties de communes enfermées dans l’enceinte stratégique de Thiers sont annexées à Paris, divisé dès lors en vingt arrondissements; la population double presque de 1851 à 1871. Le régime connaît dans la capitale des heures de gloire, au milieu d’une bourgeoisie enrichie dans les opérations d’Haussmann qui ont valorisé la propriété bâtie et fait monter les loyers. La banque et le crédit sont prospères. La vie brillante de toute une société accompagne l’expansion de la production industrielle, sensible dans les grands magasins ou les expositions universelles. Mais, en même temps, le problème ouvrier s’aggrave: l’annexion de 1860 (loi de 1859) a fait entrer dans la capitale des zones industrialisées, d’habitat souvent misérable; on compte alors 416 000 ouvriers dans Paris. Le centre leur est désormais interdit et ils se massent dans les arrondissements périphériques, peu ou pas touchés par Haussmann. Cette ségrégation radicale, que la ville n’avait pas connue auparavant, constituait un terrible danger politique; elle explique en partie la Commune.

L’État et la Ville

La Révolution de 1789 a rendu aux Parisiens le goût d’un pouvoir municipal capable, au besoin, de faire et de défaire les gouvernements. Les «journées» révolutionnaires, œuvre de la nouvelle administration parisienne centrale présidée par un maire (la commune) et des organisations de quartier (les sections), journées au cours desquelles les Parisiens eurent l’impression d’écrire chaque jour l’histoire de France, incitèrent le législateur à une très grande méfiance dès la chute de Robespierre. Les sections furent dissoutes en 1795 et la municipalité – dont le rôle fut réduit à la stricte administration – partagée entre les arrondissements. Le Premier consul assujettit un Paris enrobé dans le petit département de la Seine au régime préfectoral, mais avec une situation exceptionnelle: Paris est placé sous la tutelle de deux préfets, le préfet de la Seine et le préfet de police; il n’y a pas de maire de Paris, mais des maires d’arrondissements désignés par le pouvoir, et, jusqu’en 1834, pas de conseil municipal mais un conseil général de la Seine. Les pouvoirs rivaux des deux préfets, responsables devant les ministres, seront longtemps une source de conflits – ainsi, sous l’Empire, N. Frochot et L. N. Dubois –, mais en réalité l’initiative et le contrôle font du préfet de la Seine un véritable ministre des Affaires parisiennes: G. Chabrol, C. Rambuteau et, après l’intermède de la révolution de 1848 qui ramène pour un temps le pouvoir municipal parisien avec un maire de la ville, J.-J. Berger et Haussmann.

3. La formation de l’agglomération parisienne

Entre 1870 et 1940, la capitale prend un nouveau visage. Le Paris de Napoléon enfermé dans l’enceinte des fermiers généraux, celui de Balzac qu’enserraient les fortifications de Thiers, la ville éventrée d’Haussmann qu’évoque Victor Hugo dans Les Années funestes font place au «Grand Paris», celui dont le centre se vide au profit de la périphérie et surtout de la banlieue. Désormais, on parle moins de Paris que de la région parisienne, tandis que surgissent avec acuité de nouveaux problèmes jusqu’alors négligés, comme celui des transports ou encore celui créé par l’anachronisme d’une administration héritée de Napoléon Ier.

La fin du Paris révolutionnaire

Le 4 septembre 1870, la révolution renverse le régime de Napoléon III. Comme en 1830 et en 1848, la république est proclamée à l’Hôtel de Ville. Ce changement s’opère une nouvelle fois en dehors de la province, il s’effectue dans une France envahie et un Paris bientôt investi par l’armée prussienne. Les souffrances du siège, l’humiliation de la défaite, la désorganisation des pouvoirs civils et militaires sont à l’origine du mouvement insurrectionnel de la Commune, maître de la capitale entre le 18 mars et le 21 avril 1871. Mais les forces que Thiers, chef du pouvoir exécutif, a rassemblées à Versailles écrasent l’insurrection lors de la «semaine sanglante». Le passif de la Commune est lourd: destruction des Tuileries et de l’Hôtel de Ville, du ministère des Finances et du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de nombreux immeubles privés (les incendies ne sauraient s’expliquer uniquement par les canons de M. Thiers). De plus, mal préparée et mal organisée, menant une politique incohérente, la Commune a envoyé au massacre les meilleurs militants de la capitale. Paris ne s’en relèvera pas; sa vocation révolutionnaire est brisée. Ni les émeutes du 6 février 1934, ni le soulèvement de 1944, aidé par l’arrivée des troupes alliées, ni la révolte estudiantine de mai 1968 ne retrouveront les fastes révolutionnaires de 1830, 1848 et 1870, quand Paris «faisait l’Histoire». La défaite de la Commune, c’est aussi la revanche de la province sur la capitale. Les troupes versaillaises n’étaient-elles pas formées de paysans venus des départements? Cet antagonisme, qui se manifeste notamment au moment des élections, se poursuivra tout au long de l’histoire de la IIIe République.

Immigrants et banlieusards

Il est vrai que l’attraction de Paris a enlevé naguère à la province nombre de ses meilleurs enfants. Jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’immigration dans la capitale venait des départements voisins de Paris, situés en majorité dans la partie septentrionale de la région parisienne; quand elle touchait des départements plus éloignés, elle revêtait un caractère professionnel (migrations saisonnières du Massif central). Dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe se développe une immigration d’un type différent: toutes les régions de France participent désormais à la croissance de la capitale, cependant que l’échantillonnage professionnel et social des nouveaux venus se diversifie. Étudiant le recensement de 1891, que confirme celui de 1901, Louis Chevalier observe qu’en ce qui concerne l’immigration parisienne «on constate que la diminution la plus forte atteint les départements les plus proches de Paris, et avant tout la Seine-et-Oise, la Seine-et-Marne, l’Oise et la Somme». En revanche, la progression est particulièrement marquée dans trois régions: «en Bretagne, et surtout dans les Côtes-du-Nord, dans un groupe de départements qui comprend la Nièvre, le Cher et l’Indre, et enfin dans les départements du Massif central qui entourent le Cantal: la Corrèze et surtout l’Aveyron». Mais, remarque L. Chevalier, «il faut se garder pourtant de considérer qu’un Paris méridional aurait dès lors remplacé un Paris septentrional. En chiffres absolus, la prépondérance des zones traditionnelles de départ (les départements du Nord) reste incontestée».

Grâce à l’immigration, il y a donc croissance démographique de la capitale, mais croissance moins rapide qu’il n’y paraît et inégale selon les arrondissements. Le vieux Paris, surpeuplé, cesse d’absorber les nouveaux habitants de la capitale; la population diminue dans les quatre premiers arrondissements, baisse également dans le Xe et le XIe, stagne dans le Ve et le VIe. On n’observe de progression que dans le VIIe et le VIIIe et dans les arrondissements périphériques, encore marque-t-elle un temps d’arrêt en 1911.

Si Paris cesse de progresser, il n’en va pas de même de la banlieue.

Comme le remarque en 1932 André Morizet, 39 des 80 communes de la banlieue parisienne dépassent 20 000 habitants, chiffre que n’atteignent pas nombre de préfectures dans les départements.

Les grands travaux et les nouveaux monuments

Il convenait d’éviter l’erreur commise par le premier Empire et les monarchies constitutionnelles qui avaient négligé de tenir compte du poids de la démographie dans l’aménagement de la capitale, préférant, sous Napoléon notamment, les réalisations de prestige aux travaux utilitaires dans les quartiers surpeuplés. Ce n’est qu’à partir de 1890 pourtant que se dessine la volonté de moderniser la cité par l’augmentation des adductions d’eau, l’accroissement du réseau d’égouts, la distribution du gaz et de l’électricité, l’évacuation des ordures ménagères (mesures du préfet Poubelle), le lancement de l’entreprise du chemin de fer métropolitain pour résoudre le problème des transports. En 1909 reprennent les grands travaux de voirie. Un emprunt de 900 millions est voté par le conseil municipal pour assurer l’exécution des diverses opérations: achèvement du boulevard Haussmann, de l’avenue Matignon, prolongement de la rue de Rennes jusqu’à la Seine, etc.

De nouveaux monuments apparaissent dans le paysage parisien: le Sacré-Cœur qui domine la ville, le palais du Trocadéro en 1878, la tour Eiffel en 1889, le Grand Palais, le Petit Palais et le pont Alexandre III en 1900; la plupart ont pour origine les Expositions universelles de 1878, 1889 et 1900; tous sont l’objet de controverses passionnées. Les expositions qui s’échelonnent entre les deux guerres mondiales valent à la capitale le musée des Colonies et le zoo de Vincennes (1931), le musée d’Art moderne et le «nouveau Trocadéro» (palais de Chaillot, 1937). Par ailleurs, les fortifications établies par Thiers sont détruites (1920-1924). En réalité tous ces travaux – dans l’ensemble mal coordonnés – comme le développement anarchique de la construction privée (poussée des quartiers riches à l’ouest: Champs-Élysées, Monceau, Passy, Auteuil, Champ-de-Mars; poussée des quartiers pauvres à l’est: Charonne, Ménilmontant, Belleville) révèlent le mal dont souffre Paris: une carence administrative. Deux préfets, l’un pour le département de la Seine (Poubelle en 1883), l’autre pour la police (Lépine en 1893 et en 1899; Chiappe en 1928), vingt maires d’arrondissement mais aucun maire central, le conseil général du département faisant fonction de conseil municipal de la capitale: Paris est bien «une nef sans pilote».

4. L’évolution sociodémographique

Paris est sans doute la dix-septième agglomération du monde pour le nombre des habitants, selon les données collectées par les Nations unies, mais c’est assurément la première du continent européen. Bien que les comparaisons internationales soient incertaines dans ce domaine, Paris semble bien devancer Moscou et distancer Londres. Avec 9,3 millions d’habitants lors du recensement de 1990 (Paris intra-muros en comptait alors 2,15 millions) et une population estimée à 9,6 millions en 1996, l’agglomération parisienne concentre autant de personnes que la Suisse ou la Suède sur tout leur territoire. Pour la France, en tout cas, c’est une agglomération énorme, qui pèse d’un poids très lourd, même en simples termes démographiques, rassemblant 22 p. 100 de la population urbaine totale. Elle regroupe sept fois plus d’habitants que Lyon ou Marseille et dix fois plus que Lille.

Cette population a une multitude de traits originaux liés aux fonctions de la grande métropole politique, économique et culturelle qu’est Paris. Elle comporte en particulier une proportion de personnes diplômées, qualifiées et aisées nettement plus forte que les métropoles provinciales. Le processus de mondialisation en cours ne fait que renforcer cette caractéristique. En même temps, du fait de la taille de l’agglomération, la population est nettement plus diversifiée que dans n’importe quelle autre grande ville française.

La croissance de l’agglomération parisienne

La taille atteinte aujourd’hui par l’agglomération est évidemment le résultat d’une longue évolution. Ce qui est surprenant, dans le cas de Paris, c’est que la croissance a été continue depuis cinq siècles, hormis de brèves périodes de guerre. C’est inhabituel pour les autres grandes villes du monde. Une croissance aussi durable implique la convergence de nombreux facteurs. Ici, les facteurs politiques ont joué un rôle clé; ils n’ont pas cessé d’avoir un effet favorable sur la croissance de la ville.

Il serait pourtant erroné de croire que l’évolution a été régulière. Il y a eu d’amples variations de rythme bien qu’il soit difficile d’en rendre compte, et ce pour deux raisons. D’abord, parce que l’extension de la surface bâtie n’est connue précisément que depuis 1954; pour les années antérieures, il faut donc estimer l’étendue de l’agglomération à partir des documents disponibles. Ensuite, parce que les données sur le nombre d’habitants n’existent vraiment que depuis le milieu du XIXe siècle; les premiers recensements ont été assez imprécis (le premier a été effectué en 1801); quant aux dénombrements effectués sous l’Ancien Régime, ils fournissent tout au plus des ordres de grandeur.

La croissance démographique

L’évolution de la population ne peut donc être retracée qu’avec une certaine approximation. La ville a commencé à se développer de façon plus ou moins continue à partir du début des Temps modernes, une fois passées les graves crises démographiques de la fin du Moyen Âge. La croissance a été lente mais à peu près constante du XVIe au XVIIIe siècle. L’agglomération aurait compté 250 000 habitants en 1530, 430 000 en 1650 et 620 000 à la veille de la Révolution. Pendant cette période, la croissance a toujours été un peu plus élevée à Paris que dans l’ensemble de la France, car la ville a été alimentée par un flux continu de provinciaux. La dimension de l’organisme urbain restait néanmoins raisonnable. En 1789, l’agglomération concentrait un peu plus de 2 p. 100 de la population française, ce qui n’était pas disproportionné pour une capitale.

C’est au cours du XIXe siècle que le rythme de la croissance a changé, en même temps que la place de Paris au sein du système urbain français. La concentration extrême du pouvoir politique dans la capitale a attiré toutes sortes d’activités recherchant la proximité de ce dernier et a eu un fort effet d’entraînement sur les activités industrielles et tertiaires, surtout à partir du second Empire. Paris devient alors, peu à peu, une hypercapitale concentrant une part excessive des activités politiques, économiques et culturelles du pays. Dans ces conditions, la population augmente vite: elle double entre 1801 et 1851 et double de nouveau entre 1851 et 1876. L’agglomération atteint ainsi 1,4 million d’habitants au milieu du XIXe siècle et 3,7 millions à la fin du siècle; elle concentre alors près de 10 p. 100 de la population du pays. L’écart entre Paris et les villes de province s’accroît vite: en 1789, la capitale avait quatre fois plus d’habitants que la deuxième ville du pays; en 1900, elle en a huit fois plus.

Loin de cesser, la croissance s’est poursuivie à un rythme accentué dans la première moitié du XXe siècle, car Paris conserve une position fortement dominante pour presque toutes les fonctions. La population s’élève à 4,8 millions d’habitants en 1920, à 6,5 millions en 1954 et à 8,2 millions en 1968; elle représente alors près de 17 p. 100 de la population française. Une telle concentration est exceptionnelle dans les pays développés comparables à la France. Il n’existe rien de tel en Allemagne, en Italie, en Espagne ni même dans le Royaume-Uni en dépit de l’importance considérable de Londres.

La décélération intervient néanmoins à partir des années 1960. C’est d’abord un effet de la taille atteinte: dans toutes les grandes métropoles, à un moment donné, le gigantisme finit par avoir des effets négatifs qui provoquent peu à peu un freinage. Le phénomène est lié aussi à la baisse de la fécondité et aux mesures prises pour juguler la croissance parisienne afin de vivifier la province. Ces mesures ont certainement accéléré la désindustrialisation et réduit le dynamisme des activités tertiaires. Ces divers facteurs ont combiné leurs effets pour diminuer la croissance. L’augmentation annuelle de la population est réduite de moitié au cours des années 1970: elle ne dépasse plus guère 50 000 personnes par an. Toutes les perspectives démographiques ont été révisées à la baisse, et les 10 millions d’habitants ne sont plus envisagés, désormais, avant 2010.

L’étalement de l’agglomération

L’extension spatiale de l’agglomération a été plus rapide encore que sa croissance démographique, particulièrement depuis le début du XIXe siècle. Alors que la population a été multipliée par dix depuis 1830, la surface occupée a été à peu près multipliée par vingt-cinq. Pendant les années 1960, l’extension se faisait encore au rythme de 60 km2 par an. Pendant les années 1980, en raison de la réduction de la croissance démographique et des difficultés économiques, elle est tombée à 30 km2 par an, ce qui reste tout de même considérable.

L’extension progressive de Paris au cours des derniers siècles est assez bien connue grâce aux plans successifs qui ont été conservés. Pendant le Moyen Âge et les Temps modernes, la ville s’est étendue lentement et a gardé une forme plus ou moins circulaire. Elle a en effet été contenue, dans une large mesure, par une série de murs, depuis l’enceinte de Philippe Auguste, au XIIIe siècle, jusqu’au mur des Fermiers généraux, au XVIIIe siècle. Au-delà des portes, il y avait néanmoins des faubourgs qui s’étendaient le long des routes.

Au cours du XIXe siècle, la croissance spatiale devient beaucoup plus rapide et plus désordonnée. Les faubourgs s’étendent très vite et les villages voisins grossissent rapidement. En 1860, les limites de la ville sont repoussées jusqu’aux fortifications de Thiers et elles ont, depuis lors, été conservées sans changement. Avec la construction des chemins de fer, la croissance a vite pris un aspect tentaculaire; les diverses lignes construites ont beaucoup contribué au développement de la banlieue, particulièrement dans les vallées. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les autoroutes et le R.E.R. ont donné un nouvel élan à l’étalement de l’agglomération, surtout vers l’ouest et le sud. Celle-ci s’étend alors jusqu’à trente ou quarante kilomètres du centre. C’est avant tout le développement de l’automobile qui a permis de combler les vides entre les diverses radiales routières ou ferrées, en particulier sur les plateaux.

L’espace occupé par l’agglomération s’est ainsi beaucoup accru au cours des XIXe et XXe siècles. En 1800, la ville n’avait pas plus de 40 km2. En 1900, elle en avait 450 environ, soit près de onze fois plus. Elle passe ensuite à 1 300 km2 en 1954 et à 2 575 km2 en 1990, soit près de six fois plus qu’au début du siècle.

La densité de la population est évidemment très variable d’un lieu à un autre. Elle est élevée dans la partie centrale, à l’exception du centre des affaires et du centre politique, tandis qu’elle est de plus en plus faible à la périphérie. La configuration, grossièrement concentrique, est similaire à celle observée dans toutes les grandes villes du monde. Ce qui distingue, en revanche, l’agglomération parisienne de la plupart des métropoles de pays développés, c’est la forte densité du noyau central. Dans la ville de Paris proprement dite, sans les bois de Boulogne et de Vincennes, la densité moyenne approche les 250 habitants par hectare, soit près de deux fois celle qui est observée dans le centre de Londres sur une superficie comparable. Dans certains quartiers, elle atteint même 500 hab./ha, en particulier sur la colline de Montmartre. Dans la banlieue, les variations sont fortes: la densité est encore de 100 à 200 hab./ha dans les communes qui jouxtent Paris, mais elle peut tomber au-dessous de 10 à la périphérie de l’agglomération. Il y a bien sûr des variations selon le type d’habitat et le niveau social. Les densités les plus faibles sont observées dans les communes riches où prédominent les maisons individuelles, notamment dans la banlieue ouest.

La population parisienne

La population de l’agglomération parisienne ne cesse d’évoluer, comme celle de toutes les villes, par le jeu de deux dynamiques: d’une part, celle des naissances et des décès, d’autre part, celle des arrivées et des départs.

Au cours de la dernière période intercensitaire 1982-1990, c’est le bilan naturel qui a fait augmenter la population: l’excédent a été de 72 000 personnes par an en moyenne. Quant au bilan migratoire, il a été négatif, le déficit ayant été de 24 000 personnes par an en moyenne. Une telle situation n’existe en vérité que depuis les années 1970 et elle est largement imputable à la politique d’aménagement du territoire mise en place pour freiner l’expansion parisienne. Dans le passé, c’est très largement par le jeu de la dynamique migratoire que la population a évolué, spécialement au cours de la période de forte croissance observée pendant le XIXe siècle et la première moitié du XXe.

En dépit du changement qui s’est produit récemment, les migrations continuent de jouer un rôle très important dans la formation et la composition de la population. Il y a d’abord des mouvements internes d’assez grande ampleur ayant pour résultat de faire diminuer la population dans le noyau central et de la faire augmenter dans la couronne périphérique. Il y a aussi des échanges massifs avec l’extérieur que le simple bilan migratoire ne traduit pas car plusieurs centaines de milliers d’arrivées et de départs sont observés chaque année. La population de l’agglomération est constamment renouvelée par ces mouvements externes. Ceux qui arrivent sont le plus souvent jeunes et à la recherche d’un emploi: leur moyenne d’âge est de vingt-quatre ans. Ceux qui partent sont plus divers: ils comprennent en particulier des adultes ayant passé un certain nombre d’années dans l’agglomération et des personnes prenant leur retraite.

Les origines de la population

Il n’est pas surprenant dans ces conditions que la population soit pour une large part venue d’ailleurs. L’attraction de la capitale est très ancienne et elle n’a jamais cessé de se manifester. Le fait était déjà commun au siècle dernier, au cours duquel de nombreux provinciaux, hommes et femmes, «montaient» à Paris. Il l’est plus encore aujourd’hui. Seul un habitant sur quatre est né dans la capitale proprement dite; pas plus d’un sur vingt a des parents qui y sont nés aussi. Ceux qui ont une longue ascendance parisienne, étalée sur plusieurs générations, sont rarissimes.

Plusieurs groupes doivent être distingués parmi les migrants:

1. Ceux qui sont d’origine provinciale sont les plus nombreux. Au total, on en compte au moins 3 millions. Dans la seule ville de Paris, c’est le cas pour un tiers des habitants; en banlieue, c’est le cas pour près de la moitié. Au début du XIXe siècle, ils arrivaient surtout de provinces voisines, notamment de Normandie et de Picardie. Les originaires de l’Ouest et du Massif central, en particulier les Bretons, les Limousins et les Auvergnats, sont venus un peu plus tard. Aujourd’hui, ce sont toujours les mêmes régions qui fournissent la plus grande part des migrants, mais il y a eu un élargissement progressif du recrutement. Toutes les régions, en fait, contribuent maintenant au renouvellement de la population parisienne. Les spécialisations du passé ont pratiquement disparu mais il en subsiste quelques traces. Les propriétaires de cafés, par exemple, restent en majorité originaires de l’Aveyron. Les postiers viennent encore souvent des départements du Sud-Ouest.

2. Les Français qui ne sont pas nés en France métropolitaine sont eux-mêmes composés de plusieurs groupes bien distincts.

Les rapatriés, au nombre approximatif de 160 000 dans l’agglomération, sont arrivés à l’époque de la décolonisation, surtout en provenance d’Algérie. C’est un groupe hétérogène, assez âgé maintenant, fondu dans la population française.

Les natifs des D.O.M.-T.O.M. sont au nombre de 200 000. Ils sont venus essentiellement de Martinique, de Guadeloupe et de la Réunion dans les années 1960-1970. Les flux migratoires en provenance de ces départements ont beaucoup diminué depuis le début des années 1980. Leur situation est quelque peu ambiguë. Étant français et souvent peu diplômés, ils ont largement pénétré le secteur public, spécialement la Poste, les hôpitaux et la police, le plus souvent à des niveaux subordonnés. Étant noirs, ils souffrent souvent de la discrimination raciale et sont, de ce fait, concentrés pour la plupart dans les grands ensembles, mélangés aux Africains avec lesquels ils sont fréquemment confondus.

Les étrangers naturalisés étaient au nombre de 350 000 dans l’agglomération parisienne en 1990. C’est encore un groupe hétérogène car formé de personnes d’origines très diverses – italienne, polonaise, espagnole, algérienne, marocaine, vietnamienne ou autre – et relativement âgées. Il est concentré, lui aussi, dans les quartiers populaires.

3. Les étrangers sont très nombreux dans l’agglomération parisienne: on en comptait près de 1,3 million en 1990, soit près de 14 p. 100 de la population totale, étant entendu que le chiffre réel est un peu plus élevé. Le nombre des étrangers continue d’augmenter, mais à un rythme nettement ralenti désormais en raison des difficultés économiques et des mesures prises pour freiner l’immigration.

Cette population étrangère est largement mélangée à la population française. Sa distribution spatiale est en effet liée avant tout au niveau social. C’est dans la mesure où la plupart des étrangers appartiennent aux couches populaires qu’ils sont plutôt concentrés dans les quartiers défavorisés et non en raison de leur origine. Ainsi, dans le département de Seine-Saint-Denis, composé largement de communes populaires, la proportion des étrangers s’élève à 19 p. 100. Dans certains quartiers défavorisés de Paris, comme la Goutte d’Or (XVIIIe arrondissement), et dans certaines communes ouvrières de la banlieue, comme Aubervilliers, elle atteint ou même dépasse 30 p. 100.

La population étrangère est extrêmement variée car elle est constituée de nombreuses nationalités ayant chacune son histoire et ses traits particuliers. En simplifiant beaucoup, on peut distinguer trois groupes principaux:

– Le plus important, fort de 750 000 personnes, est composé d’immigrants venant des pays en voie de développement. C’est aussi le plus visible. Il est formé de 450 000 Maghrébins (dont 230 000 Algériens et 150 000 Marocains), de 150 000 Africains noirs (surtout Sénégalais et Maliens), de 40 000 Turcs et enfin de 110 000 personnes originaires d’Asie de l’Est, du Sud-Est et du Sud (surtout Vietnamiens et Cambodgiens). Ces immigrants n’ont pas les mêmes caractéristiques, mais ils ont en commun d’être plutôt en bas de l’échelle sociale, de résider dans les quartiers désavantagés et d’avoir des difficultés d’intégration.

– Le deuxième groupe est formé d’immigrants originaires de l’Europe méditerranéenne. Il se compose de plus de 400 000 personnes dont 270 000 Portugais, le reste étant formé d’Espagnols, d’Italiens et de Serbes. Il est très diversifié aussi mais constitué de personnes plutôt bien intégrées dans la population.

– Le dernier groupe, très différent, a un effectif plus réduit (environ 100 000 personnes): il est formé de migrants originaires de pays riches ou relativement riches (Britanniques, Allemands, Belges, Américains), plutôt placés aux niveaux moyens et élevés de l’échelle sociale et habitant, de ce fait, les quartiers favorisés.

Les caractéristiques démographiques

Dans toutes les grandes métropoles, la population présente des traits démographiques particuliers en dépit de la grande diversité d’origine de ses habitants. L’agglomération parisienne ne fait pas exception. Elle se distingue bien du reste du pays.

Parmi ses caractéristiques, il faut d’abord citer la petite taille des foyers: 2,4 personnes en moyenne. C’est un chiffre plus faible que celui observé dans les autres grandes cités européennes et qui s’apparente seulement à ceux de Copenhague et de Stockholm. Il est lié à la faiblesse de la fécondité et au caractère très lâche des structures familiales. La proportion de personnes seules est exceptionnellement forte: c’est le cas d’un foyer sur trois en banlieue et d’un sur deux à Paris.

La fécondité est devenue très faible: le nombre moyen d’enfants par femme, pour les Françaises, s’est abaissé à 1,7 dans l’agglomération et à 1,5 pour Paris. La mortalité est basse également: en 1990, l’espérance de vie à la naissance pour l’ensemble des deux sexes s’élevait à soixante-dix-sept ans pour l’agglomération, soit une année de plus en moyenne que dans l’ensemble de la France.

Comme dans toutes les métropoles des pays développés, la population est relativement âgée mais elle l’est un peu moins que dans les grandes villes allemandes, anglaises ou italiennes en raison de l’arrivée massive de jeunes adultes et du départ, également massif, de personnes âgées. L’âge moyen de la population est de trente-quatre ans dans l’agglomération. Les traits les plus remarquables de la pyramide des âges sont liés aux migrations: c’est en particulier la très nette surreprésentation des jeunes adultes qui viennent à Paris pour étudier ou trouver un emploi ainsi que la forte proportion de femmes. On compte en effet 94 hommes pour 100 femmes dans l’agglomération et seulement 80 dans la ville de Paris.

La différenciation sociale dans l’agglomération parisienne

La structure sociale

Il convient enfin d’analyser un dernier aspect de la population: sa composition sociale. Ici encore, l’agglomération parisienne se distingue nettement des autres grandes villes françaises. L’analyse des groupes socioprofessionnels montre que les cadres ou les personnes exerçant un métier intellectuel de niveau élevé y sont beaucoup plus nombreux qu’ailleurs. En revanche, les ouvriers occupent une place nettement plus réduite.

L’agglomération se distingue surtout par la forte représentation des personnes situées au sommet de l’échelle sociale, ayant un diplôme universitaire, une haute qualification professionnelle et des revenus substantiels. Elle concentre ainsi 46 p. 100 des cadres d’entreprise, 59 p. 100 des chercheurs et 78 p. 100 des personnalités figurant dans le Who’s Who in France . L’agglomération ne compte pas moins de 900 000 cadres et professions intellectuelles supérieures, ce qui est considérable. Ce phénomène est évidemment lié à la concentration des fonctions d’autorité, de gestion, de conception et à l’importance des fonctions culturelles. La proportion d’adultes titulaires d’un diplôme supérieur est très forte: 18 p. 100 dans l’agglomération, 23 p. 100 à Paris, chiffres nettement plus élevés que dans les autres métropoles d’Europe. Les salaires y sont d’un tiers plus élevés que ceux de l’ensemble de la France et le revenu moyen des ménages, de 42 p. 100 supérieur. L’agglomération paie 34 p. 100 de l’impôt sur le revenu levé en France et 62 p. 100 de l’impôt sur la fortune car Paris est le lieu d’élection des familles riches.

D’un autre côté, l’agglomération n’a pas échappé au chômage même si elle a longtemps été relativement épargnée par rapport autres grandes villes. Un actif sur huit est sans emploi et une proportion similaire vit d’emplois précaires mal rétribués. Pis, l’agglomération concentre une partie importante des exclus n’ayant même plus assez de ressources pour payer un petit loyer, car elle leur offre malgré tout plus de possibilités que les villes de province grâce aux associations caritatives et aux aides dispensées. Plusieurs dizaines de milliers de «sans-domicile fixe» arrivent ainsi à survivre dans l’agglomération, dont beaucoup à Paris même.

Ainsi la capitale française offre un éventail social très ouvert, allant des couches les plus fortunées de la population aux plus démunies.

L’évolution de cet éventail social à partir des années 1960 a été considérable, quoique difficile à suivre en raison du changement de la nomenclature socioprofessionnelle en 1982. Il ne fait pourtant aucun doute qu’elle a été plus rapide et plus ample dans l’agglomération parisienne que dans les autres grandes villes en raison de l’évolution très marquée de l’appareil productif. Les deux groupes qui ont le plus changé sont les ouvriers, dont le nombre a nettement diminué, et les cadres et les professions intellectuelles supérieures, dont le nombre a fortement augmenté. Pour caractériser cette évolution, on a souvent utilisé le terme d’embourgeoisement bien qu’il soit inadéquat puisque le groupe en expansion est composé essentiellement de salariés ayant réussi grâce à leurs diplômes et à leurs compétences professionnelles. Le terme d’élitisation conviendrait mieux pour définir ce phénomène sans être tout à fait approprié non plus. L’évolution s’est traduite en tout cas par un très net mouvement d’ascension sociale pour une partie de la population. Ce mouvement a particulièrement touché Paris, ce qui a augmenté encore sa différence avec la banlieue; les arrondissements centraux ont été les plus concernés, et tout spécialement le Marais, le Quartier latin et le quartier Saint-Germain. Les arrondissements périphériques du Sud et de l’Ouest et certaines parties de la banlieue ont connu une évolution similaire mais moins accentuée, spécialement dans la banlieue sud, là où se sont développés des centres de recherche et des industries de haute technologie (Orsay, Massy, Vélizy-Villacoublay). Ce n’est pas seulement la composition sociale de la population qui a été modifiée dans tous ces secteurs «embourgeoisés»; c’est aussi la taille et le coût du logement, la qualité et la diversité des services offerts, enfin la couleur politique; à Paris, le glissement vers la droite lors des consultations électorales a été très net; dans la proche banlieue, il a entraîné la disparition de la «ceinture rouge».

Beaux quartiers et quartiers sensibles

Alors que les disparités sociales avaient eu tendance à diminuer pendant les années de plein emploi, les Trente Glorieuses, elles ont augmenté depuis que l’économie est entrée dans une période de croissance lente. Les processus ségrégatifs ont agi plus fortement. Sans doute le terme de ségrégation est-il employé abusivement pour nommer la relégation des fractions pauvres de la population dans les quartiers défavorisés, mais il ne fait aucun doute qu’il y a eu depuis deux décennies une concentration spatiale accrue des groupes situés au bas de la pyramide sociale.

De nombreuses études ont permis de préciser la géographie sociale de l’agglomération à partir des données sur les catégories socioprofessionnelles. L’espace social présente une configuration grossièrement sectorielle, commune à nombre de grandes villes. Ici, les classes favorisées occupent un quadrant partant du centre et allant vers l’ouest-sud-ouest, en direction de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Les classes populaires occupent plutôt le quadrant opposé, partant du nord-est de Paris et couvrant surtout la banlieue en direction de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle (Val-d’Oise). Les autres secteurs sont occupés en majorité par les classes moyennes, mais avec une grande diversité quant à la composition sociale et à la physionomie de l’habitat. Cette géographie sociale trouve ses origines dans le Paris du XVIIIe siècle qui s’est différencié peu à peu selon un gradient est-ouest.

Les oppositions les plus fortes se font aujourd’hui entre les beaux quartiers parisiens et les quartiers «sensibles» de la banlieue.

Les beaux quartiers désignent communément la partie de Paris où résidait la bourgeoisie au XIXe siècle, c’est-à-dire les VIIe, VIIIe et XVIe arrondissements ainsi que la partie contiguë des VIe et XVIIe. Par excellence, c’était le «seizième», le long des belles avenues, aux abords du bois de Boulogne ou dans les «villas» d’Auteuil. L’habitat est mélangé mais il est surtout constitué d’immeubles cossus offrant des appartements spacieux dont l’acquisition est toujours très onéreuse. Ce n’est plus la bourgeoisie traditionnelle qui habite ces quartiers; industriels et négociants aisés sont aujourd’hui très minoritaires. Ce sont avant tout des cadres, des professions libérales et des intellectuels à revenus élevés.

Les quartiers sensibles ou quartiers en difficulté de la banlieue contrastent vigoureusement avec les quartiers huppés de Paris. Ils sont constitués essentiellement de grands ensembles d’immeubles collectifs datant surtout des années 1965-1975, situés dans la banlieue nord (Saint-Denis, La Courneuve, Auberviliers...) et dans la vallée de la Seine, en amont et en aval de Paris. Les logements ne sont pas spécialement petits mais ils sont souvent surpeuplés. Les immeubles, pour l’essentiel des habitations à loyer modéré (H.L.M.), sont de médiocre qualité et leur entretien a été souvent négligé. Les habitants sont pour la plupart ouvriers et employés, et la proportion d’étrangers est forte. Ces quartiers sont souvent mal insérés dans le tissu urbain. L’intensification de la crise a entraîné un processus de paupérisation qui a développé la délinquance et l’insécurité, ce qui a encore aggravé le phénomène de marginalisation.

Une telle évolution, au demeurant, n’est pas propre à Paris. Elle a été observée, à des degrés variables, dans toutes les grandes cités du monde occidental car elle est liée à l’évolution économique générale. Il convient aussi de mentionner que les différences sociales au sein de l’agglomération parisienne, du fait de l’histoire particulière de la France, sont plutôt moins accusées que dans beaucoup d’autres pays; elles sont, en tout état de cause, nettement moins fortes qu’à Londres, New York ou Los Angeles.

5. Paris, capitale économique

En apparence, il est facile de mesurer le poids de Paris, capitale économique: l’Île de France représente 29 p. 100 de la valeur ajoutée nationale en 1992 pour 19 p. 100 de la population du pays, mais aussi plus de 5 millions d’emplois, 38 p. 100 des cadres et professions intellectuelles supérieures de France en 1990, des fonctions de commandement évidentes, matérialisées par des sièges sociaux contrôlant, par exemple, 47 p. 100 des effectifs de l’industrie française, et un pôle majeur de communications avec Aéroports de Paris...

La réalité est plus complexe: Paris a presque toujours été une capitale économique mais, d’une époque à l’autre, ce n’est pas tout à fait de la même ville ni des mêmes fonctions qu’il s’agit.

Une notion dont le contenu a évolué

Ville-capitale ou région-capitale? Si la forme et la délimitation spatiale de Paris sont bien fixées depuis 1860, la «capitale économique» parisienne a débordé ces limites, dès le XIXe siècle en ce qui concerne l’industrie, depuis les années 1960 en ce qui concerne le tertiaire: le centre d’affaires de la Défense (situé dans les Hauts-de-Seine) a même obtenu un code postal «Paris-La Défense», le principal pôle technologique «parisien» et français se trouve autour du plateau de Saclay (Essonne), et l’emplacement du troisième aéroport «de Paris», si celui-ci est construit, se trouvera sans doute près de Chartres, dans la région Centre, après avoir failli être en Picardie. Certaines institutions éminemment parisiennes ont même une partie de leurs locaux en province, comme l’École des mines, à Sophia-Antipolis, près de Nice, ou l’E.N.A. à Strasbourg... Depuis la fin des années 1970, on a pris l’habitude de parler de «région-capitale» à propos de l’Île-de-France, mais peut-être ce concept lui-même est-il dépassé.

La notion de «capitale économique» a également évolué au fil des années: de la capitale d’une riche région agricole, les rois de France ont fait une capitale politique et sociale, et donc un marché exceptionnel pour toutes les industries de luxe, qui n’ont pas manqué de s’y implanter.

Le XIXe siècle a renforcé le rôle de capitale administrative, réglementant la vie économique et intervenant de façon croissante dans son fonctionnement... au moins jusqu’au milieu des années 1980. Cette centralisation extrême se produisant en pleine révolution industrielle, l’agglomération parisienne est devenue la capitale industrielle de la France, tant en termes de commandement que de production et d’emplois.

Après la Seconde Guerre mondiale le concept de capitale économique s’est fortement développé. Renforçant une évolution spontanée, la politique de «décentralisation industrielle» menée à partir des années 1950 au nom de l’aménagement du territoire, afin de désengorger la région parisienne et de renforcer l’économie des régions de province, a conduit à une «division spatiale du travail» exacerbée: les activités de production les plus élémentaires, notamment les usines employant de nombreux «ouvriers spécialisés» (O.S.) travaillant à la chaîne, ont été transférées massivement en province (mais de préférence dans le Bassin parisien), alors que les activités de gestion, de conception et de marketing, en plein essor, se concentraient de plus en plus en région parisienne. La province y a gagné des emplois (entre 600 000 et 1 million en quarante-cinq ans), quelques sites célèbres (Citroën, à Rennes), et parfois quelques désillusions. L’Île-de-France, quant à elle, est devenue une immense machine à concevoir et à gérer: plus de un million d’emplois de cadres et de dirigeants en 1990.

Cette problématique était encore très franco-française, elle était dans la droite ligne du débat sur «Paris et le désert français» inauguré en 1947 par le livre de Jean-François Gravier. Le développement de la mondialisation dans les années 1980 a changé une fois de plus les données du problème.

À la veille de l’an 2000, la région parisienne est moins la capitale économique de la France que l’une des principales métropoles économiques européennes et mondiales. En tant que grande métropole, elle est d’abord en relation avec elle-même, et avec le reste du monde, bien plus qu’avec son «arrière-pays» national. Celui-ci lui échappe d’ailleurs un peu: la politique agricole se décide à Bruxelles, Francfort a obtenu d’accueillir le siège de la banque centrale européenne, et le destin des entreprises de province se décide de plus en plus souvent dans des métropoles étrangères. Mais la réciproque est vraie, et Paris est devenue une plaque tournante où se concluent les transactions entre hommes d’affaires du monde entier.

La puissance de Paris, capitale économique, tient aussi à la superposition des visages successifs de l’influence que la ville a exercée: de chaque période, Paris a gardé quelque chose qui nourrit les périodes suivantes. Cela est vrai non seulement de l’économie parisienne dans son ensemble, mais aussi de ses différents aspects sectoriels.

Paris, capitale de l’agriculture française?

Le titre de ce paragraphe peut prêter à sourire, surtout quand on sait que l’agriculture francilienne n’occupe que 1,9 p. 100 de la surface agricole utile nationale, et 1,8 p. 100 des agriculteurs français. Mais ce n’est pas à cette aune qu’il convient de juger la place de l’agriculture parisienne .

Le Bassin parisien est le principal producteur français de céréales et la région Île-de-France elle-même fournit 11,5 p. 100 de la production nationale de fleurs derrière la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi qu’une production maraîchère importante .

Par ses grandes écoles, ses laboratoires (l’Institut national pour la recherche agronomique, I.N.R.A), son industrie agro-alimentaire, l’Île-de-France a joué un rôle essentiel dans les progrès techniques de l’agriculture française. Ce progrès s’est diffusé grâce à l’action de nombreuses institutions, centralisées pour les unes, décentralisées pour d’autres, mais on peut dire sans exagération que la modernisation de l’agriculture, si elle a été sur le terrain le fait des agriculteurs et de leurs organisations ou coopératives, a eu largement Paris pour capitale.

Le Salon de l’agriculture (qui se tient à Paris) ou la Foire de Paris sont la vitrine commerciale de l’agriculture française. Plus discrètement, les restaurants parisiens participent aussi à cette entreprise: comment séparer la cuisine française des produits ou des vins français?

Le seul recul véritable enregistré récemment est celui de l’influence politique, avec la politique agricole commune de la Communauté européenne: désormais, si les agriculteurs viennent encore de temps en temps manifester à Paris... c’est surtout pour demander à leur ministre de faire pression sur Bruxelles! Mais ce rôle reste crucial. Au moment où ces lignes sont écrites (1997), le sort de l’économie agricole antillaise est entièrement entre les mains des politiques: les Américains font pression pour que les «bananes-dollar», produites par leurs multinationales dans les pays d’Amérique centrale, à un coût très inférieur à celui des bananes des Antilles, puissent concurrencer librement ces dernières sur le marché européen. Jusqu’ici, le gouvernement français a défendu les producteurs antillais. S’il cède aux pressions exercées par l’Organisation mondiale du commerce sur l’Union européenne, l’économie antillaise sera sinistrée. C’est là que l’expression de capitale économique prend tout son sens... et trouve aussi ses limites à l’heure de l’Europe.

Portée et limites de la «désindustrialisation» parisienne

L’Île-de-France reste la première région industrielle française, mais dans des proportions qui ne sont plus celles du passé, et sous des formes un peu différentes.

Après avoir concentré jusqu’à 1 440 000 emplois vers 1962, et 25 p. 100 de l’emploi industriel français, l’industrie francilienne ne rassemblait plus, au début de 1994, que 775 000 emplois, soit 17 p. 100 environ du total national, alors que la région Rhône-Alpes en représentait 12 p. 100. L’écart entre les deux premières régions françaises s’est donc réduit.

Mais le cadre géographique de la comparaison est-il encore pertinent? L’entité «Bassin parisien», selon les définitions, rassemblait entre 35 et 40 p. 100 de l’emploi industriel national en 1990, et près de 45 p. 100 de la valeur ajoutée nationale. Or il ne faut pas oublier que, depuis les années 1960, une bonne partie des industries de cette zone est constituée d’«annexes décentralisées» des industries parisiennes. En outre, la comparaison avec la région Rhône-Alpes est-elle pertinente à l’heure du marché unique européen? La région Rhin-Ruhr, qui a beaucoup souffert elle aussi, reste malgré tout nettement en tête à l’échelle européenne, dans l’absolu comme en pourcentage.

Pour autant, dans une région qui a toujours été à la pointe de la productivité, l’emploi n’est pas un indicateur suffisant: en 1990, la valeur ajoutée de la production de la seule Île-de-France représentait encore 25 p. 100 du total national; la région concentrait 17,4 p. 100 de l’investissement industriel français entre 1989 et 1994 (11,7 p. 100 en Rhône-Alpes), 30 p. 100 des créations d’entreprises industrielles en 1995, près de 50 p. 100 des effectifs en matière de recherche et développement... et l’essentiel des fonctions de commandement

Le constat de désindustrialisation n’est donc pas totalement justifié.

L’Île-de-France continue de jouer un rôle décisif dans un certain nombre d’industries essentielles: construction aéronautique et spatiale (33 p. 100 des effectifs français en 1994), appareils de mesure et de contrôle (47 p. 100), d’émission et de transmission (43 p. 100), pharmacie (33 p. 100) et édition-imprimerie (42,5 p. 100).

En revanche, sa place a nettement reculé, tout en restant importante, dans des domaines typiques de la croissance des années 1960, comme l’automobile (21 p. 100), la mécanique et le matériel électrique.

Outre les véritables reculs ou déclins, qui sont rares, quatre phénomènes ont affecté en apparence l’industrie parisienne, sans diminuer sa puissance réelle: la décentralisation au profit de la province qui a simplement «éloigné» certains de ses établissements de production. Les «délocalisations» vers l’étranger, sous des formes très variées (créations de filiales, ou simples accords de production sous licence), qui ont à la fois affecté l’emploi sur place et accru la puissance réelle de l’industrie, dans des rapports d’autant plus difficiles à calculer que les indicateurs ne sont pas exactement les mêmes. La «tertiarisation», qui a remplacé les emplois ouvriers, jadis caractéristiques de l’industrie, par des emplois de bureau, en fait des emplois tertiaires au sein de l’industrie. Et enfin l’«externalisation» ou «extériorisation» de certaines tâches, c’est-à-dire leur sous-traitance à des sociétés qui sont souvent des sociétés de service. Quand une firme industrielle confie le nettoyage de ses locaux, ses études de marché ou son informatique à des sociétés spécialisées, cela fait baisser statistiquement les effectifs de l’industrie et augmenter ceux du tertiaire.

À ce compte, on devine que l’industrie parisienne est en fait beaucoup plus puissante et déterminante pour l’emploi que ne le laissent penser les statistiques, et que la place de nos grandes sociétés industrielles dans les palmarès mondiaux ou leurs succès à l’exportation en sont peut-être des indicateurs plus pertinents. Réciproquement, on devine aussi que la croissance du secteur tertiaire demande à être analysée avec quelques précautions.

Les multiples visages du tertiaire

La puissance du tertiaire francilien est éclatante, et n’a cessé de se renforcer, au moins jusqu’en 1991, année à partir de laquelle il semble qu’une pause soit intervenue, dont il est difficile de préjuger de la durée. Le secteur tertiaire représentait, en 1995, 78 p. 100 de l’emploi régional, soit près de 4 millions d’emplois. Le secteur tertiaire non marchand (administrations, associations...) représentait, en 1992, 22 p. 100 du P.I.B. national de sa branche, mais le secteur tertiaire marchand en représentait 35 p. 100. En fait, ces deux chiffres nous donnent un premier aperçu de l’hétérogénéité du secteur.

Ce ne sont pas les services marchands destinés aux ménages qui font la principale originalité de la région. Certes, il y a des spécificités. En matière de commerce, par exemple, il y a moins de grandes surfaces par habitant en Île-de-France qu’en province, mais elles sont plus grandes; en fait, ce sont surtout les «grands magasins» (35 p. 100 de la surface française) et les «magasins populaires» (33 p. 100 du total français) qui font l’originalité de Paris, mais ils n’en sont pas la composante la plus vigoureuse. Le secteur du commerce de l’habillement est également plus dynamique à Paris qu’en province.

On pourrait penser que Paris, capitale politique de la France, rassemble à ce titre une administration pléthorique; les chiffres sont loin de confirmer cette idée: à la fin de 1993, l’Île-de-France concentrait 400 000 agents des services civils de l’État, soit 23,3 p. 100 du total national pour 19 p. 100 de la population. Mais la puissance de l’administration parisienne doit-elle être mesurée en termes d’emplois? Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont certes rendu un certain nombre de compétences aux collectivités territoriales, mais la réalité du pouvoir, qui s’exprime dans la capacité à définir les réglementations, à décider des financements, à placer les hommes de confiance aux postes clés, ne se mesure pas au nombre de fonctionnaires parisiens des administrations centrales.

Paradoxalement, ce serait d’ailleurs plutôt l’administration locale qui pourrait paraître «surdimensionnée», avec 263 000 emplois et 25 p. 100 des effectifs nationaux à la fin de 1992, et un «taux d’administration locale» de 27,6 agents pour 1 000 habitants, contre 22,1 en province. Cette situation est surtout due à la ville de Paris (taux de 35) et aux départements de la petite couronne, la baisse de la population parisienne (stricto sensu) depuis la Seconde Guerre mondiale (de trois à deux millions d’habitants) n’ayant pas été accompagnée par un mouvement comparable de son administration.

On a considéré longtemps que la puissance parisienne tenait à la concentration, à Paris, de l’essentiel du secteur financier, banques, agents de change, assurances notamment. Les sièges sociaux s’y trouvaient presque tous, et les emplois aussi: 41 p. 100 dans la banque et les finances en 1975, 50 p. 100 dans les assurances. En 1990, les chiffres étaient respectivement de 182 000 et de 65 000 emplois, soit 40 p. 100 du total français dans les deux cas, mais la banque comme l’assurance ont cessé d’être les pourvoyeurs d’emplois tertiaires et leurs effectifs sont en baisse.

En fait, la puissance de la place de Paris n’était pas à la hauteur de son poids en terme d’effectifs. Longtemps protégé par le contrôle des changes et des réglementations tatillonnes mais bienvenues (interdiction de rémunérer les comptes à vue...), le secteur bancaire a pu prospérer paisiblement à l’abri de la concurrence jusqu’au début des années 1980. Le volume d’affaires de la Bourse de Paris pouvait être bien moindre que celui des grandes places étrangères, qui s’en souciait? Le général de Gaulle n’avait-il pas dit que «la politique de la France ne se fait pas à la corbeille»?

L’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, en 1981, a coïncidé avec le début d’une véritable révolution sur la place financière de Paris, qui en est sortie plus moderne, plus musclée... mais aussi amaigrie, voire affaiblie. Les agents de change ont perdu leur monopole. La plupart ont fait faillite ou ont été absorbés par de grandes banques. La Bourse s’est dotée d’institutions à la pointe du progrès, comme le M.A.T.I.F. (marché à terme d’instruments financiers), qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Mais le secteur bancaire, habitué à une gestion tranquille, a mal résisté au vent de la modernisation, qu’il a confondue parfois avec la spéculation. La «bulle immobilière» de la fin des années 1980 a mis à genoux deux des institutions les plus respectées de la place, le Crédit lyonnais et le Crédit foncier de France, dont les présidents étaient nommés par le gouvernement.

Les compagnies d’assurances ont subi à peu près le même sort, sauf celles qui avaient adopté une véritable stratégie internationale, comme AXA, qui a pu se permettre d’absorber son principal concurrent, l’U.A.P., en 1996. Bien que les banques et les assurances françaises détiennent encore un portefeuille immobilier très important, dont elles se défont progressivement au profit de fonds d’investissement anglo-saxons, on peut considérer que la place de Paris est aujourd’hui assainie, moderne, raisonnablement internationale; mais elle a été définitivement distancée par Londres, en termes tant de volumes que d’internationalisation, à une époque où ce dernier critère est essentiel.

Bien plus que le secteur financier et bancaire, ce sont les services marchands rendus aux entreprises (S.M.R.E.) qui ont été le fer de lance de la croissance du tertiaire parisien. Il s’agit de l’ensemble des activités de service ou de conseil aux entreprises, des plus simples comme le balayage, aux plus sophistiquées dans le domaine technologique ou financier, audit, management, etc. Leurs effectifs sont passés de 317 000 en 1975 à 625 000 en 1990, une croissance de 308 000 emplois alors que les banques n’en gagnaient, dans le même temps, que 26 000. En 1990 comme en 1975, ils représentent 40 p. 100 de l’emploi national du secteur, ce qui veut dire qu’il y a eu à la fois un rattrapage considérable de la province dans l’absolu, et un renforcement impressionnant du pôle parisien, à l’échelle tant nationale qu’internationale. Il faut y voir aussi bien l’effet des externalisations de l’industrie, que celui d’une dynamique spécifique du tertiaire parisien, Paris se situant, avec Londres, parmi les métropoles plutôt tertiaires, par opposition aux métropoles plus industrielles d’Allemagne ou d’Italie du Nord. Ce dynamisme est dû, pour une part non négligeable, au rôle de plaque tournante que joue la région parisienne.

Ce rôle est en fait la véritable raison d’être et de survivre de Paris en tant que capitale économique.

Tout d’abord, il s’appuie sur un système de transports reliés entre eux par des interconnexions. Aéroports de Paris (plus de 55 millions de passagers en 1994 pour Orly et Roissy-Charles-de-Gaulle), dispose, avec Roissy, du seul aéroport européen disposant encore d’une large possibilité de croissance au siècle prochain. Le passage du T.G.V.-Nord à Roissy et l’interconnexion des T.G.V. à Massy-Palaiseau (Essonne), créent un nœud de communications de première importance au niveau mondial.

Ce nœud de communications est essentiel pour tous les secteurs qui vivent de l’échange: le commerce de gros, bien sûr, beaucoup plus concentré à Paris que le commerce de détail. Mais surtout, l’ensemble des fonctions de rencontre et de négociation, congrès et expositions, pour lesquelles Paris et Londres se disputent année après année le premier rang mondial. Les infrastructures développées, notamment par la Chambre de commerce de Paris, (Palais des congrès de la porte Maillot, Parc des expositions, etc.), y sont pour beaucoup. À leur tour, ces fonctions en nourrissent d’autres, comme l’hôtellerie et, indirectement, le tourisme.

Celui-ci est composite dans ses motivations, mêlant affaires et loisirs, mais ne saurait être négligé. Avec 20 millions d’arrivées dans ses hôtels en 1994, dont 55 p. 100 d’étrangers, Paris contribue largement à la place exceptionnelle de la France sur la scène touristique mondiale. On y vient aussi bien pour les attractions classiques ou ludiques comme la tour Eiffel (monument le plus visité, avec 5 400 000 entrées en 1994), Disneyland Paris ou le parc Astérix, que pour les attractions plus culturelles comme le Louvre (4 250 000 entrées), Versailles (2 500 000) et les différents musées créés depuis trente ans (Musée d’Orsay, Cité des sciences, Centre Georges-Pompidou...).

En fait, la métropole parisienne offre toute la gamme des loisirs et des attractions, des plus triviales (revues ou strip-tease) aux plus culturelles, de celles qui ne nécessitent qu’une nuit d’hôtel à celles qui impliquent un séjour de plusieurs années (études universitaires).

Les formes de plus en plus variées prises par cette vie d’échanges remettent d’ailleurs en cause les notions traditionnelles de «domicile» et de «lieu de travail». Comme l’avait prévu depuis des années Jean Gottmann, Paris est devenue une «ville transactionnelle», où l’on vient pour quelques heures, quelques jours ou quelques années, mais toujours pour profiter de l’intensité des échanges, commerciaux ou intellectuels, qu’elle permet. Au point que l’I.N.S.E.E. a dû, lors du recensement de 1990, créer une nouvelle catégorie de logements, les «logements occasionnels», utilisés comme «pied-à-terre» de travail à Paris. Ils étaient déjà 116 000 en 1990, essentiellement à Paris et à Neuilly, représentant 5 p. 100 du parc de logement de la ville de Paris. Corrélativement, de plus en plus de migrations pendulaires, quotidiennes ou hebdomadaires, se font à très longue distance (260 000 en provenance de province en 1990, certaines venant de Bordeaux). L’organisme parisien étend donc ses tentacules de plus en plus loin, mais la ville de Paris en reste le cœur, même si sa place dans l’agglomération n’est plus aussi prépondérante que dans le passé.

L’organisation interne de l’économie parisienne

L’emploi régional est désormais presque parfaitement réparti en trois tiers entre Paris, la petite couronne et la grande couronne, mais c’est là un équilibre trompeur et sans doute provisoire.

La ville de Paris, avec 1 636 000 emplois au début de 1995, pour 2 millions d’habitants, reste un pôle d’emploi majeur, mais celui-ci est désormais en récession, avec une baisse de 10 p. 100 depuis 1990. Paris est particulièrement affectée par le départ de grands établissements, industriels ou tertiaires: entre 1983 et 1992, la capitale a perdu près de 400 grands établissements privés, représentant plus de 110 000 salariés, certains par disparition pure et simple, d’autres par déménagements (300 établissements et 64 000 salariés) essentiellement en direction des Hauts-de-Seine. Les arrondissements du centre-ouest sont les grands perdants de ce mouvement; seul le XIIe tire son épingle du jeu.

Au total, si la ville de Paris s’est profondément désindustrialisée (87 p. 100 de tertiaire en 1995), elle conserve le quasi-monopole des activités politiques, culturelles et touristiques (à quelques exceptions près comme Versailles, Disneyland Paris, quelques théâtres de banlieue, et surtout les universités, qui se sont largement «desserrées»), mais elle doit désormais partager ses fonctions de commandement et de gestion avec la partie Ouest de la petite couronne.

La petite couronne commence, elle aussi, à perdre des emplois, mais ce diagnostic global recouvre des évolutions très diverses. La Seine-Saint-Denis et une partie des Hauts-de-Seine conservent des fonctions industrielles de production, alors que la Défense, et l’axe qui la prolonge vers Nanterre et Rueil-Malmaison, accueillent de plus en plus les fonctions de direction. De grands bastions industriels comme l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt, site historique de Renault, ont toutefois dû fermer leurs portes. Le Val-de-Marne est le département le plus tertiaire de la petite couronne.

La grande couronne reste la zone la plus dynamique, la croissance de l’emploi s’y poursuit. Elle accueille les grands établissements automobiles en aval de la Seine (Renault à Flins, P.S.A. à Poissy); l’essentiel du «technopôle» de l’Île-de-France-Sud autour du plateau de Saclay, avec le Commissariat à l’énergie atomique (C.E.A.), l’université d’Orsay, de nombreuses grandes écoles (École polytechnique, Supélec) et des laboratoires, et l’essentiel de la recherche française; le pôle de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et de nombreuses fonctions logistiques dans tout le croissant Est de la région; et enfin les villes nouvelles. Celles-ci offraient, en 1990, 275 000 emplois pour 650 000 habitants. Elles conservent un dynamisme important, et des activités prestigieuses comme le siège futuriste de Bouygues, à Saint-Quentin-en-Yvelines ou Disneyland Paris, à Marne-la-Vallée y sont installées.

Surproductivité, redistribution des richesses, polarisation

Si la région parisienne produit 29 p. 100 des richesses nationales, avec 19 p. 100 de la population, c’est en partie parce que celle-ci est plus active et plus qualifiée, et dispose d’un capital et d’infrastructures plus importants, mais aussi parce que ces hommes et ces infrastructures sont plus productifs qu’ailleurs en France. Le laboratoire L’œil de Rémy Prudhomme a pu calculer cette surproductivité du travail et du capital parisiens: il les chiffre, pour 1989, à 30 p. 100 pour le travail, 40 p. 100 pour le capital privé, et 80 p. 100 pour le capital public. Cela n’est pas si étonnant: vu l’importance de la population et l’intensité des échanges, des infrastructures comme le métro, le boulevard périphérique... ou même la Sorbonne doivent être amorties depuis longtemps et afficher des «rentabilités» difficiles à égaler! Mais cette surproductivité n’est pas entièrement confisquée par les Parisiens: elle est largement redistribuée dans le système français et, de plus en plus dans le système européen.

L’Île-de-France est ainsi au centre du système français de redistribution des richesses, comme l’a montré une étude de l’I.N.S.E.E. sur les comptes régionaux des ménages en 1992: elle paie 33 p. 100 des impôts du pays et, finalement, le revenu disponible de ses habitants ne représente «que» 23,2 p. 100 du total national. Les Franciliens perçoivent leur juste part des prestations sociales (18,5 p. 100 du total national), mais cela ne représente que 27,7 p. 100 de leur revenu, contre 36,8 p. 100 en province...

En fait, il ne faut pas tirer des chiffres qui précèdent des conclusions trop manichéennes: les provinciaux sont souvent d’anciens Parisiens (retraités, et donc vivant en grande partie de prestations sociales) ou de futurs Parisiens (à l’occasion d’études ou de mutations professionnelles). La région parisienne a été très longtemps l’élément essentiel du système France, et elle joue aujourd’hui un rôle de premier plan dans le système monde. Comment apprécier véritablement sa place et son rôle en la séparant des systèmes auquel elle appartient? Il convient moins que jamais de l’étudier en restant enfermé dans ses frontières.

Paris
(conférences de) nom de diverses réunions internationales tenues à Paris, notam.:
celle de nov.-déc. 1945 dont l'objet était de fixer le pourcentage du total des réparations de guerre dues aux nations victorieuses devant être attribué à chaque pays;
celle de juil.-oct. 1946, dite des 21 Nations, jetant les bases des traités de paix avec l'Italie, la Roumanie (V. dossier Roumanie p. 1486), la Hongrie, la Bulgarie (V. dossier Bulgarie p. 1389) et la Finlande, pays alliés de l'Allemagne;
celle de mai 1968-janv. 1973 entre les États-Unis, le Viêt-nam du Nord, le Viêt-nam du Sud et le gouvernement révolutionnaire provisoire du Viêt-nam du Sud en vue d'élaborer un accord (signé le 27 janv. 1973) pour mettre fin à la guerre du Viêt-nam (V. dossier Viêt-nam p. 1516).
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Paris
(congrès de) congrès (fév.-avr. 1856) organisé à Paris par Napoléon III après la guerre de Crimée. L'acte final, signé le 30 mars, par la France, la G.-B., le royaume de Piémont-Sardaigne, la Turquie et la Russie, consacrait la défaite de cette dernière. L'Autriche était représentée, avec rang de médiateur.
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Paris
(traités de) nom de nombreux traités signés à Paris, dont nous citerons les princ.
1229: entre le roi de France (Louis IX sous la régence de Blanche de Castille) et Raimond VII de Toulouse, qui céda à la Couronne le duché de Toulouse et la vicomté de Carcassonne (fin de la guerre des albigeois).
1258-1259: entre Louis IX et Henri III d'Angleterre, qui se reconnut le vassal du roi de France pour ses possessions françaises (fin de la "première guerre de Cent Ans").
1763: entre, d'une part, l'Angleterre et, d'autre part, l'Espagne et la France, qui durent céder à l'Angleterre la plupart de leurs colonies (fin de la guerre de Sept Ans). Ainsi, la France perdit la Nouvelle-France (mais elle conserva le droit de pêcher dans l'estuaire du Saint-Laurent et sur la côte de Terre-Neuve), l'E. de la Louisiane et plusieurs Antilles: Dominique, Saint-Vincent, Grenade.
1814 et 1815: entre l'Europe coalisée et la France vaincue (fin des guerres napoléoniennes). La France revenait dans ses frontières de 1791. Elle cédait à la G.-B. les îles de Tobago et de Sainte-Lucie, l'île de France (rebaptisée île Maurice), l'île Rodrigue (qui appartient auj. à Maurice) et les Seychelles; à l'Espagne, la partie de l'île d'Haïti qui constitue auj. la Rép. dominicaine.
Fév.-avril 1856: V. Paris (congrès de).
Fév. 1947: entre les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et les alliés européens de l'Allemagne: Italie, Finlande, Hongrie, Bulgarie (V. dossier Bulgarie p. 1389) et Roumanie (V. dossier Roumanie, p. 1486).
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Paris
(école de) ensemble de peintres étrangers, figuratifs pour la plupart (Chagall, Modigliani, Soutine, etc.), qui travaillèrent à Paris après 1918.
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Paris
cap. de la France, sur la Seine, dans le Bassin parisien; 2 152 423 hab.; 20 499,2 hab./km². La ville de Paris forme à elle seule un dép. (75), qui couvre 105 km² et fait partie de la Région Île-de-France, dont elle est le ch.-l.
L'aggl. parisienne, s'étend sur 12 001 km² et compte 10 660 554 hab. Situation géogr. - Paris occupe le coeur d'une zone où convergent des riv. navigables: Seine, Marne et Oise. La ville présente un amphithéâtre de buttes (notam. Montmartre, Belleville, Ménilmontant, montagne Sainte-Geneviève) autour d'une plaine formée par la Seine, qui décrit un méandre et que sépare en deux bras un groupe d'îles, dont la plus vaste est l'île de la Cité. Fonctions. - Paris est le centre polit., admin., comm., écon. de la France; les grandes banques et 64 % des sociétés françaises y ont leur siège; la Bourse traite 95 % des transactions. Paris a une richesse architecturale exceptionnelle (V. [hôtel des] Invalides, Louvre, Notre-Dame de Paris, Opéra, Opéra-Bastille, Pompidou [CNAC], Eiffel). Ses nombr. musées sont riches (Louvre, musée d'Orsay, etc.). Ses universités sont réputées. La grande industrie s'est déplacée vers la banlieue. La ville s'est spécialisée dans les produits finis de haute technicité et l'industr. de luxe (articles de Paris). Les routes, les voies ferrées convergent vers Paris, premier port fluvial de France, siège d'un archevêché et d'organismes internationaux (Unesco, O.C.D.é., etc.); les jeux Olympiques s'y sont déroulés en 1900 et 1924. - Paris est devenu une ville-département en 1964. La fonction de maire de Paris, abolie en 1871, a été rétablie en 1976.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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